Bolivie : les planteurs de coca demandent à Coca-Cola de changer de nom

Publié le 17 mars 2007
Parallèlement au vote, par la Commission de la Coca (Comisión de la Coca) de l'Assemblée constituante (Asamblea Constituyente) de Bolivie, d'un projet d'article reconnaissant, dans la nouvelle constitution, la feuille de coca comme un symbole national, un groupement professionnel de planteurs de coca a demandé implicitement, mercredi 14 mars 2007, que la firme Coca-Cola cesse de faire usage du nom « coca » pour commercialiser ses produits, et demandé à la communauté internationale, indépendamment de la lutte contre le trafic de cocaïne, produit dérivé de la feuille de coca, de cesser de considérer cette dernière comme un stupéfiant.

Feuilles et baies de coca

L'Assemblée constituante bolivienne

 
Armes de la Bolivie. Voir la description détaillée dans l'article consacré à ce sujet par Wikipédia.

La Commission de la Coca, conjointement avec « les organisations sociales », a proposé à l'Assemblée constituante de la République de Bolivie d'adopter un article qui, s'il était adopté, reconnaîtrait la coca (Erythroxylum coca) :

  • comme un axe des cultures andine et amazonienne ;
  • comme un symbole culturel, un élément cérémoniel sacré et un élément d'intégration sociale ;
  • comme une ressource économique et bioénergétique naturelle, renouvelable et stratégique.

La commission propose en outre que l'État, grâce à la recherche scientifique, contribue à la préservation d’une « ressource nutritionnelle et médicinale fondamentale pour la sécurité alimentaire, la santé et la souveraineté nationale ».

Le texte demande enfin à l'État de garantir « la production, la valorisation, la préservation, l'industrialisation et la commercialisation » de la coca, « au moyen de l'exploitation soutenable à travers ses actions publiques comme la santé, l'éducation, l'industrie agroalimentaire, les relations extérieures » et de la reconnaître comme faisant partie des symboles de la patrie.

Cette proposition d'article constitutionnel est issue des travaux en commun, dans les jours précédents, à Sucre, à l'occasion de « Journées de rencontre nationale » (Jornadas de Encuentro Nacional), de membres de la Commission de la Coca et de diverses organisations de paysans, de producteurs, de revendeurs et de consommateurs de feuilles de coca.

La proposition a été rendue publique par Margarita Terán, elle-même ancienne productrice de feuilles de coca, actuellement présidente de la commission et membre du Movimiento Al Socialismo (MAS), le parti du président Evo Morales, au cours d'une réunion publique à laquelle avait été conviés plus de 400 représentants des organisations liées à l'exploitation de la feuille de coca.

La commission propose par ailleurs de supprimer, dans les armes de la Bolivie, les feuilles de laurier et d'olivier placées en couronne derrière le condor, pour les remplacer par des feuilles de coca.

Les demandes à la communauté internationale

 
Erythroxylum coca Lam., chromolithographie constituant la planche 2004 du Köhler's Medizinal-Pflanzen in naturgetreuen Abbildungen mit kurz erläuterndem Texte : Atlas zur Pharmacopoea germanica (1887) de Franz Eugen Köhler

Outre les propositions liées à la rédaction de la nouvelle constitution bolivienne, les « Journées de rencontre nationale » ont débouché sur diverses revendications destinées à la communauté internationale. À la suite de la réunion au cours de laquelle a été dévoilé le projet d'article constitutionnel, les professionnels de la coca ont ainsi demandé que « les entreprises qui comportent, dans leurs dénominations commerciales, le nom de la coca, cessent de faire usage, dans les noms de leurs produits, de celui de la feuille sacrée ».

D'autres paragraphes de la résolution lue par les professionnels de la coca demandent en outre la mise en œuvre d'une campagne internationale visant à obtenir le retrait de la coca des listes de stupéfiants et la publication par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) d'une étude réalisée entre 1991 et 1995 et contre laquelle les États-Unis auraient « opposé leur véto ».

Ces revendications sont dans la droite ligne du discours prononcé le 19 septembre 2006 par Evo Morales devant la 61e session de l'Assemblée générale des Nations unies, discours au cours duquel, après avoir brandi à la tribune une feuille de coca, il avait indiqué que « cette feuille de coca représente la culture andine, c'est une feuille de coca qui représente l'environnement et l'espoir de nos peuples » puis qu’« il n'est pas possible que la feuille de coca soit légale pour le Coca-Cola et que la feuille de coca soit illégale pour d'autres consommations médicinales dans notre pays et dans le monde entier ». [1].

Le président Morales avait également insisté sur le fait qu'une perspective d'éradication de la culture de la coca dans les pays andins était illusoire et, qu'à ses yeux, mieux valait une coopération réelle dans la lutte contre le trafic de drogue, sous-entendant que tous les efforts n'étaient pas faits pour contrôler, en aval de la production des quatre pays andins (Pérou, Bolivie, Équateur et Colombie), la transformation des feuilles de coca en cocaïne.

Trois jours plus tard, dans un entretien accordé le 22 septembre au programme de télévision syndiqué Democracy Now!, Evo Morales était revenu sur l'épisode de la feuille de coca brandie à la tribune des Nations unies [2]. Il avait alors déploré l'amalgame qui, selon ses vues, ferait de la feuille de coca une drogue, insistant sur sa couleur verte, qui la différencierait de ce qui est blanc (la cocaïne) et sur son caractère supposé « bénéfique pour l'humanité » et avait profité de l'occasion pour annoncer le lancement d'une campagne visant à « rendre sa dignité à la feuille de coca » et dont la première étape devrait consister en la « décriminalisation de la feuille de coca ». Cette supposée criminalisation était d'ailleurs toute relative puisque, comme il l'indiquait lui-même avec une certaine exagération, si cette feuille avait été une drogue, il aurait « certainement été arrêté ».

La coca dans l'économie bolivienne

Les plantations légales de coca occuperaient une surface de 12 000 hectares en Bolivie, mais le gouvernement du président Morales souhaiterait porter cette superficie à 20 000 hectares.

Le Département d'État des États-Unis, pour sa part, soutient que, en dehors des surfaces de culture autorisées, existeraient d'importantes cultures illégales, d'une superficie totale estimée à 14 000 hectares, qui serviraient de base à la production de cocaïne, dont la Bolivie serait le troisième producteur mondial, avec des exportations annuelles de l'ordre de 115 tonnes, et estime que le gouvernement bolivien « ne lutte pas de manière adéquate » contre le trafic de stupéfiants.

La Coca-Cola Company

La revendication du retrait du nom de la coca dans les dénominations commerciales étrangères visait bien entendu, en premier lieu, The Coca Cola Company, basée à Atlanta, dans l'État de Géorgie, société qui produit depuis plus d'un siècle le Coca-Cola, boisson gazeuse universellement connue [3].

La firme d'Atlanta n'a pas tardé à réagir aux exigences des cocaleros boliviens, jeudi 15 mars, en mettant en avant son caractère de « marque la plus précieuse et la plus reconnue dans le monde » et en indiquant, de manière un peu incongrue compte tenu du débat réel, être protégée par la loi bolivienne. Le communiqué de Coca-Cola a en outre réaffirmé, contre toute vraisemblance, et alors que le débat ne porte pas sur cette question, que sa célèbre boisson n'aurait jamais utilisé de cocaïne parmi ses ingrédients [4].

Le communiqué est toutefois resté muet sur l'éventuelle persistance, dans l'élaboration du célèbre breuvage, de l'emploi d'une dose inconnue de feuilles de coca. Les cocaleros boliviens affirment pour leur part que la firme d'Atlanta continuerait à importer, sous le contrôle de la Food and Drug Administration américaine, une quantité importante de feuilles de coca destinées à entrer dans la fabrication de son produit phare.

Notes

Bibliographie

  • James Painter, Bolivia and coca : a study in dependency, Lynne Rienner éd., 1994, 194 p., ISBN 1555874908

Sources

Sources hispanophones
Sources anglophones
Source francophone