Droit en France : une proposition de loi ramène les délais de prescription à 5 ans
Publié le 7 mai 2008
L'Assemblée nationale vient d'adopter, cette nuit, une proposition de loi sénatoriale tendant à ramener les délais de prescription à 5 ans. Selon les auteurs du texte, plus de 250 régimes différents de prescriptions existent en France. Il s'agissait d'uniformiser toutes ces disparités, à quelques exception près, notamment en matière de dommages corporels (10 ans), actes de barbarie (20 ans) ou de prescription immobilière.
La majorité et la Garde des Sceaux se sont réjouis de telles mesures qui toiletteraient les nombreux régimes dérogatoires dans le cadre d'uniformisation du droit européen. Selon Mme Rachida Dati, ceci « constitue une heureuse initiative que le Gouvernement tient à soutenir. En effet, il est nécessaire de réformer le droit de la prescription (…) le droit commun de la prescription est désormais inadapté : trop peu lisible, il plonge nos concitoyens dans la confusion », impliquant qu'il « doit être refondu, simplifié et modernisé ».
Une atteinte aux droits prud'hommaux selon l'opposition
L'opposition n'a pas manqué de rappeler les problèmes que ceci engendrerait pour les salariés qui verraient la plupart de leurs actions éteintes, le délai d'action étant donc ramené de 30 ans à 5 ans. Par ailleurs, le syndicat de la magistrature ainsi que la CGT ont dénoncé cette mesure qui « rendrait inopérante la lutte pour l'égalité de traitement et contre les discriminations ».
Lors du débat sur la question préalable, Michel Vaxès[1] a dénoncé « un nouveau délai qui s'appliquera aux relations entre salariés et employeurs régies par le code du travail. Le contentieux social présente un certain nombre de spécificités, à commencer par le fait que le salarié attend le plus souvent d'avoir quitté l'entreprise pour agir en justice. D’où l’intérêt d’un long délai de prescription (…) Avec l'adoption de ce nouveau délai de prescription, toutes les déclarations volontaristes contre les discriminations seront réduites à une politique d’affichage sans effet. C’est un comble, un mois à peine après l'adoption d'un texte parachevant la transposition de la directive 2000/78, et alors que le Gouvernement continue de prétendre faire de la lutte contre les discriminations son cheval de bataille ! (…) Avec une prescription de cinq ans, la réparation ne sera pas suffisante au regard du préjudice et les sanctions ne seront ni proportionnées, ni dissuasives, car plus la prescription est brève, moins forte est la dissuasion. »
À Mme Billard[1] de s'interroger à son tour : « Pourquoi cette insistance à réduire les délais de recours ? C’est qu’aujourd’hui, les demandes aboutissent souvent à la reconnaissance du préjudice subi et donc à des réparations. Derrière un syndicaliste qui réussit, des dizaines de salariés engagent le même type d’action. Cela commence à coûter cher aux entreprises – mais ce n’est pas le législateur qui se plaindra que la loi soit efficace. Seulement, si l’on passe à la discrimination salariale généralisée contre les femmes, le nombre de salariés concernés sera bien supérieur. Il était donc urgent pour le MEDEF d’arrêter cette spirale de réparations. »
M. Patrick Roy[2] a attiré l'attention de ses collègues que ce nouveau délai « est trop court pour ceux qui, bien malgré eux, ignorent notre droit ».
Des correctifs apportés par l'Assemblée nationale
L'Assemblée a levé plusieurs ambiguités de ce texte. M. Émile Blessig[3], rapporteur, a soumis un amendement qui, selon l'intéressé, « propose d’appliquer aux actions en responsabilité contre tous les constructeurs et leurs sous-traitants un délai de prescription de dix ans pour les ouvrages et de deux ans pour les éléments d’équipement. Le point de départ de ces délais – la réception de l’ouvrage – est unique. ».
En matière de discrimination, la Garde des Sceaux a rejeté les accusations de l'opposition : « j'ai fait de la lutte contre les discriminations une priorité, et ni le Gouvernement ni les rédacteurs du texte n’ont l’intention de restreindre le droit à l’indemnisation ».
Par la suite, les députés ont adopté un nouveau dispositif selon lequel « l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Ce délai n'est pas susceptible d'aménagement conventionnel. Les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée ».
Sur ce dernier point, la majorité s'est voulu rassurante. Le rapporteur a rappelé que la notion de révélation a été précisée par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 22 mars 2007. Les juges ont estimé que « la “révélation” n’est pas la simple connaissance de la discrimination par le salarié mais qu’elle correspond au moment où il dispose des éléments de comparaison mettant en évidence la discrimination ».
À l'issue de l'examen de ce texte, l'UMP et le Nouveau Centre ont voté le texte, le PS et le PC ont voté, pour leur part, contre.
Sources
- ((fr)) – Emile Picy, « L'Assemblée ramène le prescription de 30 à 5 ans en droit civil ». Reuters, 7 mai 2008.
- ((fr)) – « Compte rendu analytique ». Assemblée Nationale, 7 mai 2008.
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