France : interrogations autour de la libération de Clotilde Reiss

Publié le 18 mai 2010
Après l'annonce de la libération de Mme Clotilde Reiss par les autorités iraniennes, de nombreuses interrogations ont vu le jour. Clotilde Reiss avait été condamnée par l'Iran pour avoir participé aux événements de juin 2009 ainsi que pour espionnage. Elle avait passé six semaines en détention avant de passer le reste du temps en séjournant à l'ambassade de France à Téhéran. La peine de dix années d'emprisonnement avait été commuée en une amende de 300 000 USD. Par la suite, deux événements judiciaires majeurs ont attiré l'attention de la presse. Ceux-ci laissent supposer de la part des médias français et de l'opposition des tractations secrètes entre la France et l'Iran.

Marchandage ou coïncidence ?

Refus d'extrader Majid Kakavand

La première affaire concerne le refus de la France d'extrader vers les États-Unis l'ingénieur iranien Majid Kakavand sur décision de la cour d'appel de Paris du 5 mai dernier. Il avait été arrêté à sa descente d'avion à Paris à la suite d'un mandat d'arrêt international. Le FBI lui reproche l'achat de matériel électronique « sensible » au profit de firmes militaire impliquées dans l'élaboration de l'arme nucléaire. Il achetait ce matériel par Internet qu'il acheminait en Iran en transitant par une société-écran implantée en Malaisie, pays non soumis à embargo. La justice outre-atlantique le soupçonne également de blanchiment d'argent. Le matériel en question portait sur des condensateurs, des résistances, des connecteurs, des réflectomètres et des capteurs de pression. Les Américains considèrent que ces équipements sont à double usage, notamment à des fins militaires. L'amiral Jean-Louis Barbier, expert en armement, n'avait pas suivi l'analyse américaine : « Ce qu'il importait était à double usage au même titre qu'un commutateur ou d'un câble peuvent l'être, mais rien de plus ». « Si cela est à double usage, tout le reste l'est », avait-il confié à la presse.

Le parquet s'était opposé à l'extradition, estimant que de tels achats ne constituaient pas des infractions au regard de sa législation, et que l'équipement en question n'était pas du matériel militaire par nature. Ni les États-Unis, ni la France, ni l'Union européenne ne sont soumis à un embargo de commerce général vis-à-vis de l'Iran, avait relevé le ministère public.

Ce refus français avait suscité l'incompréhension de la part des autorités américaines. Celles-ci ont réitéré leur volonté de parvenir à l'arrestation de Majid Kakavand et de le juger. Comme le constate le The New York Times, l'une des sociétés achetées par Kakavand, l'Iran Electronics Industry, figure sur la liste noire de l'UE depuis juin 2008. Une autre de ses sociétés, Iran Communications Industry, spécialisée dans l'équipement de communication civile et militaire, a été ajoutée à cette liste.

Libération de l'assassin de Shapour Bakhtiar

 
L'ancien Premier ministre iranien Shapour Bakhtiar, assassiné par Ali Vakili Rad.

Le deuxième acte consiste en la libération Ali Vakili Rad, condamné pour l'assassinat, en 1991, à Suresnes, de l'ancien Premier ministre iranien Shapour Bakhtiar. En 1994, la perpétuité avait été prononcée avec une peine de sûreté de 18 ans. Le parquet, chose rarissime en matière de terrorisme, a donné un avis favorable pour une telle libération. Trois heures après le jugement du tribunal d'application des peine, Rad a été expulsé vers son pays d'origine. Le ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux avait déjà signé l'arrêté d'expulsion lundi. Ainsi, l'intéressé n'a donc pas effectué pas la peine de sûreté décidée par la cour d'assise.

C'est ce que ne manque pas de relever le Los Angeles Times dans son édition du 17 mai 2010. Jacqueline Shire, analyste à l'Institute for Science and International Security, évoque aussi le cas deux ressortissants américains détenus en Iran, égratignant au passage l'attitude française. Shane Bauer et Joshua Fattal, ayant tous deux 27 ans, et Sarah Shourd, 31 ans, ont été appréhendés par les autorités iraniennes après s'être égarés lors d'une randonnée dans le nord du pays. Ils ont été accusés, par la suite, d'espionnage. « Les États-Unis, à la différence de la France, ne sont pas prédisposés à marchander, et ils [les trois personnes retenues] n'ont pas le confort du séjour en ambassade en attendant que leurs cas soient résolus ».

Des précédents judiciaires

Me Sorin Margulis, avocat d'Ali Vakili Rad, a démenti tout marchandage entre Téhéran et Paris. « Aucun rapport de main tendue entre cette mesure de libération conditionnelle et la libération de Mme Reiss », a-t-il affirmé à la presse. Cette dernière garde en mémoire les précédents judiciaires, dont la grâce présidentielle de François Mitterrand en faveur du Libanais Anis Naccache, auteur d'une tentative d'attentat contre Shapour Bakhtiar en 1980. Le Quai d'Orsay a également réfuté toute tractation entre Paris et Téhéran.

En 1987, Wahid Gordji, soupçonné d'avoir fomenté des attentats en France, était reparti en Iran, ce qui avait suscité un tempête politique. À l'époque, Jacques Chirac était Premier ministre, et Charles Pasqua ministre de l'Intérieur.

Des réactions contrastées

La majorité présidentielle s'est félicité de la libération de Clotilde Reiss. « C'est un grand moment de satisfaction nationale », se réjouit Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP. Excluant tout compromis entre la France et le régime islamique d'Iran, il a manifesté son indignation contre l'opposition. « Je regrette que certains, par esprit de polémique permanente, veuillent empêcher ce moment de consensus national », a-t-il ajouté. « On ne joue pas avec les vies humaines », a-t-il lancé au parti socialiste.

Si Benoît Hamon, porte-parole du PS, s'est réjoui de la libération de la Française, il doute sur les conditions dans lesquelles elle est survenue. « On peut s'interroger sur les contreparties qui ont été négociées, surtout quand le gouvernement se met dans la posture de ne jamais rien négocier », lit-on dans un communiqué de presse du parti. Et de lancer une pique à l'encontre de l'exécutif : « le gouvernement a l'habitude de maquiller et se dissimuler derrière une communication tout à son avantage. Il y a cependant des négociations que tout État est amené à faire qui méritent d'être plus transparentes qu'elles ne le sont aujourd'hui ».

Cécile Duflot, pour Les Verts, a déclaré n'être « pas naïve », considérant que le gouvernement sous-estime l'intelligence du public. Il n'y a rien pire de « prétendre, avec un petit sourire en sachant… d'affirmer que c'est faux ». « Le gouvernement de Nicolas Sarkozy devrait être transparent dans l'explication des faits face à l'opinion publique », a-t-elle ajouté.

La réaction le plus inattendue vient du président sénégalais Abdoulaye Wade, président de l'OCI[1]. Selon le chef d'État africain, il serait survenu personnellement auprès du président iranien Mahmoud Ahmadinejad. « À l'occasion d'une visite à Téhéran, j'ai parlé au président Ahmadinejad. Je lui ai suggéré de libérer Clotilde Reiss, qui avait été arrêtée en 2009, et il m'avait donné son accord. Je lui avais conseillé de le faire pour des raisons humanitaires et que cela aurait une très grande portée ». Il aurait obtenu l'accord de principe de l'intéressé, puis informé Nicolas Sarkozy de la situation. « Mais quelques jours après, j'ai été très étonné quand il [Nicolas Sarkozy] m'a appelé pour me dire : “Président Wade, on vous demande de laisser ce dossier de côté pour l'instant, parce qu'il se trouve que nous sommes sur une piste. Nous avons un contact extrêmement sérieux”. […] Mais, je suis arrivé à la conclusion que s'il n'y avait pas cette intervention de M. Parant, Clotilde Reiss serait libérée depuis six mois. Alors que j'avais monté, avec les Iraniens, un chronogramme extrêmement précis de la libération, il fallait simplement me laisser faire, et l'affaire serait terminée depuis très longtemps », poursuit-il. Cette déclaration intervient alors que les relations entre la famille Wade et André Parant, conseiller de M. Sarkozy, ne sont pas au beau fixe, le premier accusant donc l'autre d'avoir retardé de six mois la libération de Mme Reiss.

Notes

Sources

Voir sur Wikipédia l'article
Clotilde Reiss.