France : polémique après l'arrestation de Cesare Battisti au Brésil

Publié le 20 mars 2007
Cesare Battisti, militant italien d'extrême gauche condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité par la justice italienne, et qui vivait dans la clandestinité depuis l'été 2004, alors qu'il était sous la menace d'une extradition vers l'Italie, après 13 ans de séjour continu sur le territoire français, a été arrêté à Rio de Janeiro, dimanche 18 mars 2007, dans une opération à laquelle ont participé les polices brésilienne et française.

L'arrestation

L'arrestation de Cesare Battisti est intervenue dimanche matin à Rio de Janeiro, alors que l'ancien activiste rencontrait une Française membre de son comité de soutien, qui avait fait le voyage depuis la France pour remettre une somme d'argent de 9 000 à 10 000 euros au fugitif. Encerclé par quatre policiers brésiliens assistés de deux policiers français, l'ancien activiste reconverti dans la littérature n'a pas opposé de résistance.

Cesare Battisti devait ensuite être transféré à Brasilia, capitale fédérale brésilienne, dans l'attente de la décision que prendront les hautes autorités judiciaires à compter de la réception de la demande officielle d'extradition que leur transmettront les autorités italiennes. Les deux pays disposent en effet de conventions permettant les extraditions mutuelles, mais il est toutefois trop tôt pour dire quelle pourrait être la décision que rendra la justice brésilienne.

Un député brésilien, Fernando Gabeira, membre fondateur du Parti vert brésilien, annonce son intention de se battre contre l'éventuelle extradition vers l'Italie, soulignant que, selon ses vues, Cesare Battisti serait « un homme voué à son travail intellectuel ».

Les autorités italiennes, pour leur part, se sont réjouies de l'arrestation d'un homme considéré par beaucoup, dans ce pays, comme une personnalité narguant la justice depuis un quart de siècle. Le ministre de la Justice, Clemente Mastella a indiqué que lui-même et ses services allaient travailler à préparer le plus rapidement possible la demande d'extradition à transmettre aux autorités brésiliennes. Quant au président du Conseil, Romano Prodi, il s'est félicité de la collaboration entre les polices française et brésilienne.

Dès lundi matin, deux des avocats de Cesare Battisti, Me Éric Turcon et Me Edgar Vincensini, se sont envolés depuis la France vers le Brésil, afin d'aller préparer la contre-attaque judiciare de leur client, dont ils ont confié les intérêts à un avocat brésilien, Me Rogerio Marcolini. Les deux avocats français espèrent faire prévaloir devant la justice brésilienne leur point de vue selon lequel « la contumace italienne » ne serait « pas régulière au regard de la loi brésilienne, pas plus qu'elle ne l'était au regard de la loi française ».

Le parcours de Cesare Battisti

Cesare Battisti, né en 1954 près de Rome dans une famille communiste, est arrêté et condamné à plusieurs reprises au début des années 1970 d'abord pour des délits mineurs puis pour une attaque à main armée. Entré en clandestinité en 1976, il rejoint le groupuscule Prolétaires armés pour le communisme (PAC, Proletari Armati per il Comunismo), dont il reconnaît avoir été membre durant les années 1977 et 1978 [1]. Il est arrêté le 26 juin 1979, et mis en cause dans l'enquête sur l'assassinat d'un bijoutier de Milan, imputé aux PAC, et ne cessera, jusqu'à aujourd'hui, de nier toute implication dans ce crime. En 1981, il écope d'une condamnation à douze ans de prison pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », mais parvient à s'évader le 4 octobre de la même année, lorsque des membres des PAC montent une opération contre la prison de Frosinone à Rome. Il se réfugie brièvement en France puis au Mexique, en 1982.

Toujours en 1982, un autre activiste des PAC, Pietro Mutti, est arrêté par la police italienne et met en cause Cesare Battisti dans quatre meurtres. En son absence, la justice italienne le condamne par contumace, le 13 décembre 1988, pour deux meurtres [2].

Le 16 février 1990, la cour d'assises d'appel de Milan le condamne une nouvelle fois, mais cet arrêt devait être cassé et conduire à un nouveau procès en 1993.

Le 5 septembre 1990, s'appuyant sur son interprétation de la « doctrine Mitterrand » [3], il revient en France et s'installe à Paris, où se trouvent déjà sa femme et leur fille.

La justice le rattrape une nouvelle fois au début de l'année 1991, lorsque la police française l'arrête à la demande des autorités italiennes. Il passe cinq mois en prison, mais est finalement libéré lorsque la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris rejette, le 29 mai, la demande d'extradition déposée par le gouvernement italien.

Un nouveau procès est organisé en Italie en son absence et, le 31 mai 1993, la cour d'assises d'appel de Milan le condamne définitivement, par contumace, à la réclusion criminelle à perpétuité, pour les assassinats du policier et du gardien de prison, et pour complicité dans l'assassinat du militant d'extrême droite.

Pendant ce temps, Cesare Battisti, installé à Paris après sa libération de la prison de Fresnes, y entame une carrière d'écrivain, qui se traduit par la publication, entre 1993 et 2003, d'une douzaine de romans policiers.

Le gouvernement italien transmet aux autorités françaises, le 3 janvier 2003, une nouvelle demande d'extradition et, le 10 février 2004, Cesare Battisti est arrêté à Paris, ce qui déclenche un vaste mouvement de sympathie à son égard dans certains milieux de gauche et d'extrême gauche. Il est placé en liberté surveillée, sous contrôle judiciaire, le 3 mars suivant. La chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris rend un avis favorable à son extradition, le 30 juin.

Le 21 août, Cesare Battisti se soustrait à son contrôle judiciaire et annonce publiquement son entrée en clandestinité, conduisant le garde des Sceaux, Dominique Perben, à demander au parquet général de la cour d'appel de Paris de lancer un mandat d'arrêt contre le fugitif.

Clandestin ou pas, celui-ci bénéficie toutefois d'un vaste réseau d'amitiés et de plusieurs avocats. Ceux-ci, contestant la décision d'avis favorable à l'extradition rendue par la cour d'appel, forment au mois de juillet un pourvoi devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, mais celle-ci, dans un arrêt rendu le 13 octobre, rejette le pourvoi.

Le 23 octobre, le décret d'extradition est signé par Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Les avocats, quelques jours plus tard, demandent au Conseil d'État d'annuler le décret, mais la haute juridiction administrative rejette la demande et confirme la légalité du décret, le 18 mars 2005.

Un nouvel angle d'attaque est trouvé via une plainte déposée, le 3 août 2005, devant la Cour européenne des droits de l'homme, contre le décret d'extradition. Dans un arrêt prononcé le 12 décembre 2006 mais rendu public le 19 mars 2007 seulement, la CEDH déclare la plainte de Cesare Battisti irrecevable, refusant de considérer que l'extradition du plaignant vers l'Italie soit susceptible de porter « atteinte à son droit à un procès équitable » et contestant le fait que le plaignant n'aurait pas « eu l'opportunité de présenter valablement sa défense ». Les magistrats de Strasbourg ont notamment estimé que :

  • Cesare Battisti connaissait parfaitement les accusations portées contre lui ;
  • qu'il avait également une bonne connaissance des procédures judiciaires italiennes ;
  • que son choix de « rester en situation de fuite après son évasion en 1981 » montrait qu'il avait « renoncé d'une manière non équivoque à son droit de comparaître personnellement et d'être jugé en sa présence » et que, de ce fait, sa plainte contre le décret d'extradition signé par Jean-Pierre Raffarin était « manifestement mal fondée ».

L'irruption de Battisti dans la campagne présidentielle

Le président de la Ligue des droits de l'homme, Jean-Pierre Dubois, ironisant sur ce qu'il voit comme un coup électoraliste de celui qui, pour quelques jours encore, est toujours le ministre de l'Intérieur, est allé jusqu'à se demander à son propos : « Au point où cela en est, je me demande s'il ne va pas se rendre dans la jungle amazonienne à la recherche d'Ingrid Betancourt. »

L'écrivain Gilles Perrault, qui s'était engagé il y a trois ans pour soutenir l'écrivain italien menacé d'extradition par la justice française, considère l'arrestation de Cesare Battisti comme « un triste événement », « une arrestation sarkozienne, tout à fait dans la manière de notre ministre de l'intérieur et candidat ».

Noêl Mamère, maire de Bègles et député de la Gironde, membre des Verts, estime que « le ministre de l'Intérieur, qui est aussi candidat à l'élection présidentielle, s'est offert la tête de Battisti sur l'autel électoral ».

Parmi les éditorialistes de la presse française, au moins un n'hésite pas à employer des mots très durs à l'encontre de Nicolas Sarkozy, en l'accusant eux aussi d'arrière-pensées électoralistes. Laurent Joffrin, dans les colonnes de Libération, dans un éditorial simplement titré « Indigne », évoque « un vilain coup électoral que vient de perpétrer » le ministre de l'Intérieur et fustige le fait que Nicolas Sarkozy, en donnant son feu vert à la collaboration entre les polices française et brésilienne avec la justice italienne, serait revenu sur l’« honorable promesse » qu'aurait constitué, à ses yeux, la « doctrine Mitterrand » sur la non extradition des anciens activistes italiens, et y voit un acte bas, qui serait « indigne d'une France généreuse ». L'éditorial du Monde, non signé, se montre beaucoup plus mesuré, se contentant de regretter qu'une affaire qui n'a aucun rapport avec l'élection présidentielle vienne interférer avec la campagne, alors que le premier tour est dans un peu plus d'un mois.

Nicolas Sarkozy a répondu à ses détracteurs, et souligné ce qui, à ses yeux, est une évidence : « M. Battisti est accusé d'assassinat. Il s'est enfui au Brésil. La justice italienne a demandé que toutes les polices du monde coopèrent pour qu'il puisse être devant ses juges. C'est ce qui s'est passé. Il n'y a vraiment pas lieu à polémique. » Il a par ailleurs rappelé que l'existence d'Interpol « fait obligation aux différentes polices à travers le monde de donner des renseignements » sur les personnes recherchées.

Position d'autres candidats

Dominique Voynet, membre des Verts, et François Bayrou, président de l'UDF, semblent sur la même ligne : tous deux estiment que Cesare Battisti devrait cette fois bénéficier d'un procès en sa présence, faisant apparemment abstraction de l'existence de jugements par contumace, dont les droits français et italien, même si des différences notables peuvent exister quant aux effets respectifs des jugements par contumace dans les deux pays.

Ségolène Royal, membre du Parti socialiste et compagne de son Premier secrétaire, François Hollande, est restée très prudente et s'est refusée à faire le moindre commentaire sur l'arrestation de Cesare Battisti et sur les reproches formulés, dans certains milieux de gauche ou d'extrême gauche, à l'encontre de l'action de Nicolas Sarkozy. L'un de ses « lieutenants », Manuel Valls, maire d'Évry et député de l'Essonne, a tenu à rappeler que l'Italie est un État de droit, dont il serait « nécessaire de respecter la décision », et s'est montré relativement hostile face aux voix s'élevant ici ou là pour défendre l'ancien activiste italien, et a déclaré rejeter « toute forme de complaisance vis-à-vis d'un terroriste, quel qu'il soit ».

Notes

Sources

Sources francophones
  • ((fr)) – Jean-Marc Leclerc« Cesare Battisti arrêté au Brésil ». lefigaro.fr, 18 mars 2007.
  • ((fr)) – lefigaro.fr« Itinéraire d’un ex-activiste d’extrême-gauche ». lefigaro.fr, 18 mars 2007.
  • ((fr)) – lefigaro.fr« Trois ans de traque judiciaire ». lefigaro.fr, 18 mars 2007.
Sources anglophones
Sources italophones