Interview de Daniel Atienza, coureur cycliste
Publié le 25 mai 2012
Cet article est une interview accordée par Daniel Atienza
à Ludovic Péron, le 25 mai 2012.
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Les questions et les réponses n'engagent que les protagonistes.
Les questions et les réponses n'engagent que les protagonistes.
Daniel Atienza, coureur cycliste professionnel entre 1997 et 2005 est aujourd'hui consultant pour la Radio Télévision Suisse. Il nous accorde une interview afin de retracer sa carrière et sa reconversion.
Interview
modifierLudovic Péron : Bonjour M. Atienza, merci de nous accorder cette interview à Moudon, ville dans laquelle vous avez grandi et à la croisée de vos routes d'entrainement.
Daniel Atienza : Bonjour.
Ludovic Péron : À quel âge avez vous débuté le cyclisme ?
Daniel Atienza : J'ai commencé à faire du vélo vers 12 ou 13 ans, mais j'ai vraiment commencé à rouler sérieusement à 16 ans, en junior.
Ludovic Péron : Pourquoi le cyclisme, pourquoi pas un autre sport ?
Daniel Atienza : C'est vraiment par pur hasard. Je ne suis pas issu d'une famille de cyclistes, jamais personne n'a fait de vélo chez moi. J'ai toujours été un peu touche-à-tout, j'ai essayé tous les sports que l'on pouvait faire dans la région : du foot, du tennis, du basket, de la gym. Et puis un jour j'ai vu une affiche du Vélo Club de la Broye à Lucens, j'avais un vélo à la maison, ils organisaient des entrainements tous les samedi matins. J'y suis allé un samedi et tout de suite j'ai mordu là-dedans. Donc vraiment par hasard.
Ludovic Péron : Y'a-t-il eu un coureur que vous avez eu comme idole ?
Daniel Atienza : Pedro Delgado et Miguel Indurain. Pedro Delgado c'est un grimpeur espagnol, comme moi. C'était le grimpeur, l'attaquant, comme moi. Miguel Indurain, c'était la classe et la ferveur derrière lui en Espagne. C'est le premier coureur à avoir remporté cinq tours de France à la suite. Je pouvais le regarder à la télé pendant des heures. Je n'ai pas eu la chance de courir avec lui dans le même peloton. Il a arrêté juste avant mes débuts professionnels. Cependant aux championnats du monde en Colombie, il était à l'apothéose de sa carrière, j'étais avec la sélection espagnole amateur. On roulait ensemble, je n'osais pas rouler trop près de lui de peur de le faire tomber.
Ludovic Péron : Et à cette époque vous vous intéressiez au sport professionnel dans les médias ?
Daniel Atienza : J'ai commencé à suivre tout ça dès que j'ai commencé à en faire moi même. On dit « on est vacciné par un rayon » et bien ce n'est pas tout faux. J'ai tout de suite été hyper mordu, à tous niveaux. Non seulement c'était une passion d'enfer, je suivais toutes les courses, je lisais toute la presse, je m'intéressais au matériel. Il n'y avait pas du tout de culture cycliste dans ma famille, ça a donc vraiment été une nouvelle passion, à tous niveaux.
Ludovic Péron : Nous sommes ici à Moudon, Lucens est à cinq kilomètres. Nous sommes vraiment sur vos premières routes d'entrainements. La topographie locale a dû façonner vous aptitudes pour ce sport ?
Daniel Atienza : Oui, je suis né à Moudon, j'y habite toujours. Le Vélo Club de Lucens est tout proche. Disons que du plat, ici, il n'y en a pas beaucoup. En principe, je partais de la maison et je commençais par 5 à 6 kilomètres de cotes. Donc effectivement, ,on a plus tendance à devenir grimpeur dans la région que plutôt rouleur.
Ludovic Péron : Et après le Vélo Club de Lucens, quel a été votre parcours ?
Daniel Atienza : C'est en fait un parcours un peu atypique. Dans ce club j'étais un peu tout seul dans ma tranche d'âge. Donc c'est surtout mes parents, à qui je dois beaucoup, qui ont assuré les déplacements sur les courses. Après, de fil en aiguille, junior, l'équipe Suisse romande avec quelques courses à étapes à l'étranger. Il y a peut-être eu un déclic avec une victoire d'étape sur le tour du pays de Vaud à Lucens justement. D'amateur à élite dans une grosse structure près de Zurich, donc grosse équipe. Après, je sentais que je stagnais. Il me fallait des courses plus adaptées à mon profil de grimpeur. À la fin de mon gymnase, j'ai fait un pari personnel, avec l'aide de mes parents, j'ai arrêté mes études, j'ai pris la voiture et je suis parti en Espagne. J'ai sonné aux portes. J'ai trouvé une équipe amateur là-bas ; deux ans après je passais professionnel. Je voulais en faire en métier. Et donc avec l'accord de mes parents - je leur dois énormément - ils ne venaient pas de cette culture sport, pour eux c'était les études qui primaient, mais ils m'ont toujours soutenu. Deux mois après mon arrivée en Espagne, j'étais en Colombie avec l'équipe d'Espagne.
Ludovic Péron : Pour les championnats du monde de 1995 ?
Daniel Atienza : Exactement à Duitama.
Ludovic Péron : Avec des problèmes d'altitude cette année là.
Daniel Atienza : Tout-à-fait, on avait fait un mois là-bas avec l'équipe nationale pour tenter de s'adapter.
Ludovic Péron : Et donc vous passez professionnel en 1997 ?
Daniel Atienza : Oui en 1997 à la Polti. Encore une fois, c'est un pari. À la fin des championnats du monde, j'ai fait un test à la Kelme, ça c'était assez bien passé. Mais j'étais jeune, j'avais 21 ans. Ils m'avaient demandé de refaire une année en amateur. Ma saison 1996 a été excellente, j'avais gagné sept ou huit courses en Espagne parmi les plus importantes. J'avais de nouveau été sélectionné pour les championnats du monde à Lugano, mais de part des problèmes mécaniques je n'avais pas pu finir la course. Ma saison amateur était excellente, j'étais parmi les trois meilleurs amateurs espagnols. Et malgré tout, avec la conjoncture, il n'y avait pas de débouchés professionnels. Donc là, c'était soit j’arrêtais et je reprenais mes études, soit je trouvais quelque chose. À l'époque, il n'y avait pas trop de mail. J'ai donc fait un fax à toutes les équipes professionnelles. J'ai faxé mon palmarès. Et donc la Polti m'a contacté deux jours après. Ils m'ont demandé de venir à Bergame. J'ai pris le train et ils m'ont fait signer mon premier contrat professionnel. Je voulais en faire mon métier, j'ai tout fait pour. Il y a des fois, il faut un peu de chances aussi.
Ludovic Péron : Donc janvier 1997, débuts professionnels.
Daniel Atienza : En novembre 1996, j'étais à Bergame pour signer mon contrat. En décembre j'étais en stage avec la Polti, avec Luc Leblanc, Davide Rebellin, avec toutes les stars que je voyais dans les magazines. J'étais là et le grand manager qui me disait « t'es un grimpeur, on t'a engagé pour être avec Luc Leblanc alors maintenant tu le suis. »
Ludovic Péron : Ca doit impressionner ? Et l'accueil ?
Daniel Atienza : Oui, ça impressionne. J'ai été très bien accueilli. J'ai vite appris l'italien. La Polti était une grosse structure avec des grosses ambitions sur le Tour de France. J'avais 22 ans, on me parlait déjà de Giro, de Tour de France, des coureurs qui sont là pour entourer Luc Leblanc, de toutes les courses dont je n'osais pas rêver avant. Et c'est déjà là. J'ai commencé la saison très vite à l’Étoile de Bessèges, j'étais en bonnes conditions. On voit qu'on peut faire quelque chose et tout de suite on donne des responsabilités. On est tout de suite dans le bain. Il n'y a pas de transitions. On passe d'amateur à professionnel avec des responsabilités que ce soit nous même au niveau des résultats sur des courses inférieures ou que ce soit par rapport aux gros leaders que peuvent être Leblanc ou Rebellin à l'époque sur des courses importantes. On est là, on fait partie intégrante de la structure, on n'est pas un apprenti. je me rappelle d'une phrase que m'avais dit Stanga (ndlr Gianluigi Stanga), le grand manager qui m'avait fait signer mon contrat, je lui parlais de toutes les courses que j'avais gagnées et puis de ce que je savais faire. Il m'a dit « Oh, stop. Tout ce que tu as fait avant, tu déchires. Maintenant tu es professionnel, tout est à faire. »
Ludovic Péron : Vous avec quelques belles places d'honneur dans des courses à étapes. Mais votre rôle a souvent été d'encadrer les leaders ?
Daniel Atienza : Oui j'ai quelques belles places au Tour de Romandie, au Tour de Suisse. Mais vu mes caractéristiques, je n'avais pas de pointe de vitesse. Donc pour gagner des courses, il fallait que je gagne seul. J'avais des lacunes contre-la-montre, donc pour les courses à étapes, je pouvais viser au mieux une place, pas la victoire. J'ai fait dans les 15 premiers du Giro. Ce sont de belles places, c'était une question de régularité, mais au niveau de gagner des courses ce n'était pas possible. Quand on est professionnel soit on est dans une petite structure et on peut se satisfaire d'un top 10, soit on est dans des grosses structures comme j'ai toujours été (Polti, Saeco, Cofidis) et là si on est pas capable de gagner il faut aider ceux qui peuvent gagner, les leaders. Ma carrière ça a donc plutôt été d'accompagner les leaders dans la montagne. Et ça je savais le faire. Quand il n'y avait plus que 10 ou 15 coureurs dans le final, j'étais souvent là.
Ludovic Péron : N'avez-vous pas un peu de frustration de ne pas avoir eu plus souvent un bon de sortie de votre équipe pour aller jouer la gagne ?
Daniel Atienza : Non. Quand on est professionnel, et ça Stanga me l'avait bien fait comprendre tout de suite, c'est un métier. On est payé pour faire ce métier. C'est comme dans une entreprise dans laquelle on aimerait prendre des décisions, mais il y a des chefs au-dessus. Les places dans ce métier sont chères ; soit on est capable de gagner, soit on aide les autres à le faire. J'aurais peut-être pu gagner quelques courses comme ça, mais mon rôle était autre. Il était d'aider. Mon rôle était accompli et valorisant en aidant les autres à gagner, en montagne en particulier. Après qu'on accepte cela on est très valorisé, j'ai toujours été très accepté dans mes équipes avec ce rôle que j'avais. J'ai tout de même eu mes chances avec quelques belles places dans le coin avec des étapes du Tour de Romandie, Tour de Suisse ; notamment une troisième place à Ulrichen, lors du Tour de Suisse 2005.
Ludovic Péron : En 2005, malgré une belle saison, on ne vous garde pas chez Cofidis. C'est la fin de votre carrière. N'y a-t-il pas un regret à ce niveau là de ne pas avoir pu poursuivre votre carrière plus longtemps ?
Daniel Atienza : À ce moment là, oui, un petit regret. Je sentais que j'en avais encore sous la pédale. J'aurais pu encore faire quelques années. Tôt ou tard, il faut arrêter. Et pour en avoir parlé avec mes ex-collègues, il y a toujours une frustration quand on arrête. Maintenant, ça va faire sept ans que je me suis arrêté et je pense que c'est la meilleure chose qu'il me soit arrivé, d'arrêter à ce moment-là. Par le fait que sept ans plus tard, je suis avec vous. J'ai encore beaucoup de contacts avec les médias, parce que je suis parti sur une bonne touche. Je ne me suis pas trainé dans les pelotons pendant trois ou quatre ans de trop, au fin fond de l'oubli. Les gens se souviennent souvent de ce qu'on a fait à la fin. Moi je me suis arrêté à 32 ans, donc assez jeune, en ayant encore l'énergie et la motivation de faire une reconversion, de retourner sur le bans de l'école pour apprendre un nouveau métier. Aujourd'hui j'ai 38 ans, quoi qu'il en soit je serais arrêté, mais peut-être avec la frustration d'avoir fait une ou deux saisons de trop dans les bas fonds du peloton. Je suis parti sur une bonne touche, c'est clair c'était frustrant, mais avec le recul c'est clair c'était une bonne chose.
Ludovic Péron : Votre plus beau souvenir de votre carrière professionnelle.
Daniel Atienza : Les Champs-Élysées en 2000. J'ai fini mon premier Tour, j'étais sur les Champs-Élysées, j'étais à fond, j'étais ratatiné mais je rappelle d'avoir pleuré sur mon vélo. Les Champs-Élysées, c'est La Mecque du coureur cycliste. J'en avais rêvé depuis longtemps. J'y étais, j'avais fini mon Tour de France. J'avais tellement rêvé, imaginé, ce moment. Je finissais le Tour de France, c'était grand.
Ludovic Péron : En tant que coureur retraité, vous continuez à rouler ?
Daniel Atienza : Je roule un peu, j'ai repris cette semaine. Je me suis mis à la course à pied, pour l'adrénaline de la compétition. Je fais des marathons. Le fait de préparer un objectif, de mettre un dossard, ça me manque, j'en ai besoin. J'ai fait le marathon de Genève il y a quelques semaines. Je vais faire celui de New-York en novembre. Je vais comme ça deux trois courses dans l'année.
Ludovic Péron : Et votre reconversion, comment s'est elle passée ? Vous aviez des idées, un plan de carrière avant de raccrocher ?
Daniel Atienza : Je n'avais aucune idée de ce que je voulais faire, en revanche je savais ce que je ne voulais pas faire. Ce que je ne voulais pas faire c'était rester dans le milieu - du moins pas tout de suite - comme beaucoup de mes collègues. Je ne voulais pas être directeur sportif ou rester dans une structure vélo. Je voulais voir autre chose. Je suis parti dans le monde de l'assurance parce que j'avais une connaissance qui me l'a proposé. Je suis un peu parti au hasard. J'ai peu avoir une formation en cours d'emploi, ce qui est bien. Après une carrière de sportif professionnel il faut se reformer, apprendre un métier. Et puis c'est un métier qui correspond à mon caractère et qui ressemble au cyclisme ; on nous fixe des objectifs, il faut se battre contre la concurrence.
Ludovic Péron : Et en ce qui concerne votre autre métier, celui de consultant pour la Radio Télévision Suisse. Comment cela s'est-il passé ?
Daniel Atienza : La télévision cherchait un consultant. Ils sont venus me chercher mais en ont testé plusieurs. J'ai fait un test en studio sur Paris-Roubaix, en 2007. On m'a re-contacté pour savoir si je voulais faire le Tour de Suisse et de fil en aiguille ça s'est enchainé.
Ludovic Péron : Et dans le cadre de ce travail de consultant pour la télé, il semble que vous vous servez de Wikipédia ? Qu'en est-il ?
Daniel Atienza : Oui, je suis assez un fan de Wikipédia. J'ai appris cet autre métier de consultant en posant des questions et en écoutant beaucoup la critique. Au début j'étais très scolaire, je faisais beaucoup de fiches sur tous les coureurs. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que le consultant c'est une valeur ajoutée. Il doit amener un plus par rapport au journaliste. Tout ce qui est palmarès, tout ce qui est factuel, c'est plus au journaliste de l'amener. Moi j’amène l'aspect technique et mon expérience et mon analyse de la course, ainsi que le petit plus par rapport à tel ou tel coureur. Du coup, je lis énormément de presse, je m'informe auprès du peloton et des directeurs sportifs. Et donc je ne me sers pas de Wikipédia pour les palmarès parce que ça je les trouve sur Cyclingbase. Il y a tout un tas de bases de données qui sont peut-être encore plus à jour. Par contre, sur Wikipédia je vais trouver l'anecdote du parcours de vie, de la carrière de tel ou tel coureur. Et je vais me dire « Ah ouais, je me souviens de ça. ». Si on a trois heures de commentaires, le journaliste va plutôt citer le palmarès de l'année et moi je vais plutôt dire de quel endroit il vient, où il avait couru en junior, etc. Et ce genre d'informations, on peut le trouver sur Wikipédia et pas forcément ailleurs.
Ludovic Péron : Vous connaissez bien le milieu du cyclisme, vous trouvez des erreurs sur ces articles ?
Daniel Atienza : Alors moi, je ne cite jamais quelque chose si je n'en suis pas sûr. Wikipédia c'est le principe : tout le monde peut y mettre des choses, il peut donc y avoir des erreurs. Si je lis une info dont je ne suis pas sûr (si elle ne m'évoque pas quelque chose que j'ai déjà lu ailleurs), je la vérifie avant de la citer à l'antenne. Je lis beaucoup de choses sur le cyclisme, je regarde beaucoup de courses à la télé. Du coup, Wikipédia c'est du refresh : « ah oui, j'ai déjà vu ça ailleurs. ». Alors oui il y a quelques petites erreurs, mais sur l'ensemble, dans ce domaine que je connais pour moi cet un outil fiable.
Ludovic Péron : Merci beaucoup pour cette interview. Et à bientôt.
Daniel Atienza : Merci à vous, à bientôt.
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