Interview de Fabien Clavel
Le festival des Utopiales s’est tenu à Nantes du 9 au 14 novembre 2011. Ce festival consacré à la science-fiction s’intéresse aussi bien à la littérature qu’au cinéma ou au jeu vidéo. Fabien Clavel y était présent et nous a accordé une interview.
Cet article est une interview accordée par Fabien Clavel
à Ceridwen (réalisation), Tsaag Valren (préparation), pour Wikinews, Les Chemins de Traverse, le 12 novembre 2011.
Les questions et les réponses n'engagent que les protagonistes.
L’interview
Et je dois avouer que pour L’Apprentie de Merlin, c’est pas moi qui ait eu l’idée de l’apprenti, c’est le directeur de collection Xavier Mauméjean qui est venu me voir en disant « Est-ce que tu aurais envie de faire quelque chose sur l’apprenti de Merlin ? » Moi ça m’a intéressé tout de suite, mais j’ai dit « Je voudrais que ce soit l’apprenti-e », parce que ce sera plus intéressant si c’est une fille, et j’ai trouvé que ça correspondait mieux au mythe de Merlin : on a déjà Morgane et Viviane, qui dans certaines œuvres, sont les disciples de Merlin. Donc, ce n’est pas moi qui ait eu cette idée.
Je pense que le thème comme ça, il se prête bien à la littérature jeunesse, puisqu’on a effectivement, on reprend le roman d’apprentissage, qui est un grand classique de la fantasy. On a souvent le héros très jeune qui grandit petit à petit, qui devient très puissant, qui arrive presque au début de l’âge adulte, à la fin du cycle ou du roman. Et en même temps, ça permet d’aborder la littérature arthurienne sous un point de vue un petit peu neuf. Donc c’est très pratique, je pense que c’est pour ça que ça va être intéressant.
Le seul truc pour lequel je leurs dit de se méfier, c’est pour les articles d’actualité un peu chaude, où, parfois, il y a des guerres d’édition,… Mais je leur ai dit que, pour le reste, notamment tout ce qui concerne l’Antiquité et la Littérature, pour moi ça me semble de très bonne qualité, et personnellement je m’en sers beaucoup pour… en tous cas, comme point de départ, c’est-à-dire ça me donne beaucoup de bases, et après moi j’utilise les bibliographies qui sont données à la fin, et après je vais chercher dans des livres. Mais oui, je m’en sers énormément, ce serait mentir que de dire le contraire, et c’est très très utile et souvent très bien fait.
En ce moment, ce qui marche bien, c’est… — à mon avis, il y a plusieurs raisons. D’une part, on y voit une métaphore de l’adolescence, donc ça, effectivement, c’est ce qui rend les choses très palpables ; ça, c’est ce que faisait déjà Buffy contre les vampires il y a longtemps — qui est moi mon modèle en la matière. Mais après je pense que ce qui fait aussi — ça c’est à force de discuter dans des tables rondes, et de réfléchir au sujet —, c’est que le vampire incarne bien un petit peu les tensions de la société actuelle, où l’homme se comporte un peu comme un parasite, qui est en train de détruire un petit peu l’écosystème dans lequel il vit ; donc c’est le vampire qui se nourrit de sang, qui est déjà mort, etc., et en même temps il rêve d’être plus fort, d’être éternellement jeune, etc., et ça correspond avec le vampire à toutes ses caractéristiques.
Donc ça incarne vraiment bien le paradoxe de l’homme contemporain. Donc c’est très pratique pour ça, et c’est pour ça qu’en ce moment il marche, et je pense que dans quelques siècles, on aura toujours des vampires dans la littérature — sauf si la fin du monde arrive en 2012 —, mais on parlera encore des vampires, mais on trouvera d’autres sources à cette métaphore.
Le vampire, c’est quand même plus rigolo, les bad boys c’est quand même toujours ce qui est plus intéressant, surtout qu’on en est arrivé quand même — on avait des héros très lisses, très parfaits —, on en est arrivé quand même à des figures d’anti-héros, donc le vampire peut bien correspondre à cette figure anti-héros, car il est à la fois séduisant et en même temps repoussant, donc ça marche bien.
Quant aux thèmes glauques moi personnellement, j’aime bien les thèmes glauques aussi, donc ça ne me gène pas du tout, je pense que c’est une manière d’exorciser, c’est un peu comme le hard rock par exemple, on va dire « Oh, ils écoutent de la musique violente, ils vont devenir violents ». Moi je vois plutôt ça comme une canalisation de la violence, et pour fréquenter pas mal de gens qui écoutent du hard rock par exemple, et j’en écoute moi-même, c’est pas les gens les plus violents qu’on va trouver, justement, ils trouvent une manière d’exutoire pour les angoisses, les frustration, etc.
Donc écrire sur des thèmes comme ça, en lire, pour moi c’est plutôt positif, c’est une manière de transcender, de sublimer un peu des choses, c’est cathartique ! et donc la littérature a son travail à faire là-dedans.
Et ce que j’aime aussi, au niveau de la construction narrative — ça c’est plutôt sur l’écriture —, c’est que c’est une série qui fait très attention à ce qu’elle raconte. C’est-à-dire que dès qu’il y a un élément qui est posé pour un personnage, on le suit. Donc ils ne l’ont pas posé au hasard, bien sûr, et on le réutilise. Et même trois, quatre, cinq épisodes plus tard, voire une saison plus tard, on va reprendre des éléments d’autres saisons. Rien n’est gratuit. C’est ça que j’ai aimé, c’était relativement rare dans les autres séries. J’ai bien aimé cette cohérence narrative.
Pour revenir à la première question, c’était d’aborder le vampire de façon originale. Dans Buffy, ils ont fait quelque chose d’assez classique au départ, à part le côté « transformation en monstre » mais qui montre bien la dualité. Justement, moi j’ai pris ça un peu comme un défi.
Dans Homo Vampiris que j’ai écrit d’abord, mon idée était de l’aborder de façon SF, c’est-à-dire de trouver une explication pseudo-scientifique — parce qu’à mon avis elle tient pas la route pour des vrais scientifiques —, en définissant le vampire comme un parasite. Il est lui-même investi par un parasite, qui le transforme physiquement, et qui lui donne ses capacités. Et je voyais ça effectivement… je l’ai relié avec un monde, je l’ai projeté dans l’avenir, dans un monde vraiment où les problèmes écologiques sont importants, et le vampire était effectivement une métaphore de ce parasitisme, qui renvoyait au parasitisme humain qui est en train de pomper les ressources, et notamment le pétrole. Il y a beaucoup de passages dans le roman qui font des parallélismes entre justement l’exploitation du pétrole et le vampire qui suce le sang.
Ce qui m’amusait moi, c’était de faire un renversement où les vampires, au lieu d’être des chasseurs ignobles, étaient eux-mêmes chassés, puisqu’ils étaient pris pour cibles par des — comment dire — des croyants millénaristes, qui voyaient dans les vampires des symptômes de la fin du monde, et qu’il fallait s’en débarrasser pour le combat pour les âmes.
Ce sont tous ces éléments qui m’ont intéressés. Et il me semblait qu’un peu comme ça, je pouvais renouveler modestement l’approche du vampire, sachant que cela avait déjà été fait — dans Je suis une légende, on a déjà une approche scientifique, ça a dû être fait aussi à d’autres moments, mais bon — j’avais voulu donner cette approche là. Et au moment où le roman est sorti, on m’a dit « tiens, c’est de la bit lit ». Et dans mon esprit ça n’en était pas du tout. Donc je me suis dit après « tiens, je vais en faire de la bit lit » pour montrer ce que c’est, et puis un des buts que je me suis donné, c’est d’explorer tous les genres et sous-genres des littératures de l’imaginaire. Donc si possible vraiment passer de l’un à l’autre au maximum, et donc le bit lit j’avais pas fait, donc ça me faisait envie, et puis j’ai une idée qui m’était venue, et là j’ai complètement changé ma mythologie vampirique. Au lieu d’avoir donc des personnages très SF dans l’avenir, je suis parti sur le motif du miroir — d’où le titre, Le Miroir aux vampires, il y a une logique forte aussi, beaucoup de travail —, et je me suis aperçu que le miroir était très peu utilisé ; que c’était un motif qui revenait tout le temps, mais que personne n’avait développé à ma connaissance. Donc je me suis dit, je vais développer ça, en donnant des qualités particulières au miroir, une signification particulière, et donc j’ai complètement changé. Donc là, les vampires sont plutôt des créature plus ou moins magiques, ils sont moins morts-vivants — parce que le côté mort-vivant m’intéresse pas spécialement —, plus des créatures ophidiennes, et j’ai tout développé autour de ça. Et là par contre, j’ai respecté les règles de la bit lit, donc un personnage, une héroïne, qui adolescente ou fin d’adolescence, qui raconte à la première personne dans ce qui ressemble à un journal intime, avec une romance — évidemment j’ai essayé de tourner un peu de son fonctionnement habituel —… Mais voilà, j’ai respecté les règles en faisant ma propre petite sauce de mon côté.
L’idée un petit peu plus lointaine aussi, c’est que ces vampires-là — donc ils sont cinq dans le groupe —, ils ont été conçus en fait comme des vampires, c’est-à-dire, une fois que la peur de la mort a été éliminée, donc la religion est impossible, il n’y a pas besoin de dieu puisque on est tout seul, et en plus — c’est là que ça devient problématique, parce que pour moi c’est pas vraiment grave que l’on se passe de dieu, ça me semblerait plutôt une bonne chose —, pour eux, toute sublimation devient impossible, puisque — tel que c’est expliqué dans le livre —, c’est la peur de la mort qui pousse à pratiquer les arts, à s’engager politiquement, etc. Et donc tous les vampires qui sont là, ils pratiquent tous plus ou moins un art, et ils échouent. Vous avez, alors — j’ai oublié le nom de mes propres personnages —, celui qui est cuisinier, il le dit à un moment, il dit qu’il fait semblant, car il ne ressent plus vraiment les goûts [Marcus.] —Marcus, merci, heureusement qu’il y a des gens qui ont lu le livre. Si on regarde Ashanti, lui, c’est un engagement politique, mais on sent qu’il n’y croit plus complètement. C’est la même chose avec la danseuse, qui s’appelle… — je ne sais plus comment non plus, c’est pas très grave… [Fedora.] Fedora… ah, oui, d’accord… en plus c’est lié à Balzac… — la danseuse, c’est pareil, elle dit que quand elle danse, elle ne fait plus que répéter des gestes. Là indirectement, on a une influence… c’est une idée qui m’est venue en regardant Angel, où on a dans la saison 4 si je me rappelle bien, la première apparition de Summer Glau — qui jouera après dans Firefly —, qui danse dans un théâtre et refait tous les soirs la même — car il y a un magicien qui l’y oblige — elle refait tous les soirs exactement le même spectacle. Ça m’avait donné cette envie qu’elle fait chaque jour le même spectacle, parce qu’elle n’arrive plus à faire mieux, elle répète mécaniquement quelque chose qu’elle ne ressent plus. Tout était construit vraiment sur cette impossibilité de la sublimation. Et donc les vampires évidemment n’arrivent plus à être réellement humains, puisque en gros la sublimation c’est ce qui caractérise l’humain. Je me demande si je n’ai pas glissé une citation en cours de route — justement, le vampirisme, c’est la sublimation aussi, c’était vraiment mon postulat de départ dans le livre.
Du coup la transcendance, à chaque livre, elle est éliminée d’une manière ou d’une autre, ou en tous cas elle est problématique ; les hommes se débrouillent pour s’en débarrasser, ou luttent contre, ou on voit les problèmes que posent toute transcendance. Mais moi je reste vraiment du côté de l’humain. Pendant très longtemps dans mes premiers livres, je m’étais dit, je refus de décrire le ciel, car je ne veux décrire que les trucs qui se passent au niveau du sol. Bon après j’ai laissé tombé, car c’était vraiment trop compliqué, et c’est toujours beau de décrire le ciel.
Là, j’ai d’autres projets qui sont en route ; et à chaque fois, la figure de dieu va être soit éliminée, soit elle est absente, etc. C’est ce qu’on retrouve un peu dans une autre série qui est pour moi un peu dans la lignée de Buffy, en un peu moins bien, c’est Supernatural, où l’on retrouve ça quand il y a les anges qui apparaissent, à partir de la quatrième saison je crois. Les anges apparaissent, et ils se promènent, et justement on a le problème du dieu absent : personne n’a vu dieu depuis longtemps, personne ne sait où il est, personne ne sait sa volonté, et les anges se débrouillent comme ça. C’est un truc qui me parle moi, c’est un thème que j’aime, où, voilà : que fait l’homme sans Dieu ? et pour moi, il n’est pas forcément misérable, comme dirait Pascal — c’est pour frimer.
Notes et sources
Cet article contient des éléments de journalisme de première main rédigé par un membre de Wikinews . Ces articles peuvent être traduits en utilisant le Réseau de Traduction des Sources Primaires (WORTNET).
|