Royaume-Uni : la Chambre des Communes vote en faveur d'une Chambre des Lords entièrement élue

Publié le 8 mars 2007
Les députés britanniques, membres de la Chambre des communes, chambre basse du Parlement britannique, ont voté, mercredi 7 mars, plusieurs résolutions dont la dernière, si la réforme était menée à bien, tendrait à transformer la Chambre des Lords, la chambre haute, actuellement composée de 751 membres – dont 633 pairs à vie et 90 pairs héréditaires [1] –, en une assemblée entièrement composée de membres élus.

Vue nocturne du palais de Westminster, siège du Parlement britannique, en février 2007. La Chambre des Lords siège dans l'aile Ouest (à gauche sur le cliché) et la Chambre des Communes dans l'aile Est (à droite sur le cliché).

Les députés ont en outre rejeté, à une majorité écrasante (155 « pour » et 418 « contre »), le principe d'un changement graduel dans la composition de la chambre haute, qui aurait vu l'arrivée d'une proportion de 50 % de Lords élus venant siéger aux côtés d'un contingent de 50 % de Lords nommés.

Le projet initial

 
Jack Straw, leader des Communes, le 19 mai 2005

Le projet initial soumis à la Chambre des Communes par Jack Straw, leader des Communes (ministre des Relations avec la Chambre des Communes) prévoyait :

  • la réduction à 540 du nombre des membres de la chambre haute,
  • le recours, au sein de la Chambre des Lords, à une proportion de 50 % de membres élus au suffrage universel :
    • les Lords faisant partie de la moitié élue le seraient avec un mandat de 15 ans non renouvelables, la chambre étant renouvelée par tiers tous les cinq ans ;
    • M. Straw envisageait de « bousculer » les usages britanniques en matière d'élection en introduisant une dose de scrutin proportionnel dans l'élection des membres de la chambre des Lords, en recourant aux 12 circonscriptions retenues pour l'élection des députés britanniques au Parlement européen : 9 circonscriptions pour l'Angleterre, 1 pour le Pays de Galles, 1 pour l'Écosse et 1 pour l'Irlande du Nord. Les partis politiques élaboreraient, pour chacune des circonscriptions, une liste de candidats, dont le nombre varierait en fonction du nombre de sièges à pourvoir, tandis que le scrutin déterminerait, par l'un des systèmes de représentation proportionnelle, le nombre de sièges attribués à chaque liste. L'objectif du projet étant de voir la nouvelle chambre refléter la diversité de la société britannique, via celle des listes de candidats ;
  • un renforcement significatif des pouvoirs de la Chambre des Lords, sans aller toutefois jusqu'à la parité avec la Chambres des Communes, dans le processus d'élaboration des lois ;
  • un changement de nom de la chambre haute : une des pistes proposées étant « Chambre réformée ».

Les résolutions du 7 mars

Les députés ont voté sur dix résolutions différentes :

Proposition Pour Contre Majorité Adoption/rejet
Maintien d'un parlement bicaméral 416 163 253 adoption
Chambre des Lords entièrement nommée 196 375 179 rejet
Proportion de 20 % de Lords élus       rejet sans vote
Proportion de 40 % de Lords élus       rejet sans vote
Proportion de 50 % de Lords élus et 50 % de Lords nommés 155 418 263 rejet
Proportion de 60 % de Lords élus et 40 % de Lords nommés 178 392 214 rejet
Proportion de 80 % de Lords élus et 20 % de Lords nommés 305 267 38 adoption
Proportion de 100 % de Lords élus 337 224 113 adoption
Amendement des conservateurs et des libéraux démocrates pour permettre le maintien des pairs héréditaires jusqu'à l'entrée en fonction des Lords élus 241 329 88 rejet
Amendement gouvernemental pour la suppression des Lords héréditaires 391 111 280 adoption

Selon les informations révélées par un des porte-parole du 10, Downing Street, le Premier ministre, Tony Blair, a voté en faveur de la proposition qui prévoyait deux contingents numériquement égaux de Lords élus et de Lords nommés, mais n'aurait pas pris part aux votes ultérieurs.

Jack Straw, pour sa part, a successivement voté en faveur des motions 50/50, 60/40 et 80/20, mais a voté contre la proposition d'une Chambre des Lords entièrement composée de membres élus.

Gordon Brown, chancelier de l'Échiquier (ministre de l'Économie et des Finances), candidat déclaré à la succession du Premier ministre et donné depuis des années comme le favori, a voté pour la motion 80/20 mais s'est abstenu dans le scrutin proposant une Chambre des Lords entièrement composée de membres élus.

Certains observateurs pensent que le scandale cash-for-honours [2], qui a révélé l'an dernier l'existence d'un possible trafic ayant assuré, en échange d'un financement en faveur du Parti travailliste, la promesse de nominations de pairs à vie au sein de la Chambre des Lords, pourrait avoir gravement obéré la confiance de certains membres de la Chambre des Communes et les avoir conduit aux votes a priori surprenants de mercredi.

D'autres analystes pensent a contrario que certains parlementaires, farouchement opposés au principe d'une Chambre des Lords mixte, pourraient avoir artificiellement favorisé une solution jugée par eux « jusqu'au-boutiste » (une Chambre des Lords entièrement élue) dans l'espoir de voir le projet s'enliser soit au sein même d'un gouvernement réputé peu favorable au principe, soit lors des futurs débats à la chambre haute elle-même.

Les précédentes réformes

 
Le palais de Westminster, en novembre 2004.

Pour reprendre l'expression employée par Marc Roche dans les colonnes du Monde, la réforme du mode de sélection des pairs est un « serpent de mer » de la vie politique britannique.

La dernière tentative de réforme de la Chambre des Lords remonte à 2003. Robin Cook, prédécesseur de Jack Straw au poste de leader des Communes, avait déjà proposé un système dans lequel 80 % des membres de la chambre haute seraient élus (et 20 % continueraient d'être nommés), mais la proposition avait échoué à trois vois près, tandis que toutes les autres options avaient été rejetées.

L'année 1999 avait vu survenir le premier volet de la réforme de la Chambre des Lords promise par les travaillistes durant leur long séjour dans l'opposition (de 1979 à 1997), après un aggiornamento survenu en 1992 [3] : le principe de la suppression des pairs héréditaires avait en effet été adopté, pour assurer une majorité nette aux pairs à vie, tout en maintenant à titre provisoire un collège de 92 pairs héréditaires choisis au sein des 750 pairs héréditaires ayant existé jusque-là.

Auparavant, la précédente grande réforme entreprise avait été celle constituée par le Life Peerages Act 1958 (loi de 1958 sur la pairie à vie) [4], qui avait institué la possibilité de faire nommer par le monarque, sur proposition du Premier ministre, un nombre indéterminé de pairs à vie, non susceptibles de transmettre leurs fonctions à leurs descendants.

Il faut également citer les deux Parliament Acts de 1911 et 1949, qui avaient respectivement, en 1911, retiré à la Chambre des Lords son droit de veto sur les textes votés par la Chambre des Communes puis, en 1949, réduit de deux ans à un an le délai maximal durant lequel les Lords pouvaient retarder l'adoption d'un texte voulu par les Communes [5].

Les conséquences

Jack Straw, s'exprimant à l'antenne de la chaîne de télévision BBC 4, a semblé faire contre mauvaise fortune bon cœur et prendre la mesure de la portée historique du vote en faveur d'une chambre des Lords entièrement composée de membres élus, en déclarant : « Il y a un élan derrière ce changement : nous ne pouvons pas remettre le génie dans la bouteille. »

Après avoir comparé les votes survenus le 7 mars à un « séisme », il n'a pas caché que le cabinet actuel (ou son successeur) aurait besoin de temps pour élaborer un projet fiable de réforme de la chambre haute. Le processus pourrait commencer par des consultations des parlementaires de la majorité travailliste et des oppositions conservatrice et libérale-démocrate, avant de s'orienter vers l'élaboration, étape par étape, d'un projet de loi s'appuyant sur l'une ou l'autre des deux propositions « maximalistes » adoptées mercredi : soit l'option 80/20, adoptée avec 38 voix de majorité, soit l'option 100/0, adoptée avec 113 voix de majorité.

Dans l'immédiat, la Chambre des Lords devrait à son tour débattre, dans le courant de la semaine prochaine, du projet de loi initial élaboré par Jack Straw, et l'on attend à une certaine résistance dans les rangs des Lords membres du Parti conservateur.

Même dans l'éventualité où ceux-ci, prenant acte de la forte majorité s'étant prononcée en faveur d'une chambre haute entièrement élue, viendraient aussi à adopter une résolution en ce sens, le parcours est encore loin d'être fini pour la nouvelle réforme de la Chambre des Lords.

Tout dépendra en effet de la priorité que le successeur de Tony Blair, dont on attend pour le début de l'été la démission tant de la direction du Parti travailliste que du gouvernement, choisira d'accorder au projet de réforme. On ignore en effet les intentions de Gordon Brown si, comme le pensent la plupart des observateurs, il devient le prochain locataire du 10, Downing Street. Ses réticences vis-à-vis du principe d'une Chambre des Lords entièrement élue sont apparues au grand jour avec son abstention dans le vote de cette résolution.

Notes

Sources

Sources anglophones
Sources francophones