Royaume-Uni : la succession de Tony Blair à la tête du Parti travailliste suscite des interrogations

Publié le 28 février 2007
Alan Milburn et Charles Clarke, tous deux anciens membres du cabinet de Tony Blair, Premier ministre du Royaume-Uni depuis 1997, ont relancé le débat sur la succession annoncée au 10, Downing Street, en envoyant un courrier électronique à tous les députés travaillistes. Bien que les deux députés se soient défendus de vouloir fragiliser la position du chancelier de l'Échiquier, Gordon Brown, jusque-là considéré comme le successeur « naturel » du Premier ministre, leur initiative intervient dans un contexte de mauvais sondages d'opinion, qui semblent indiquer que, si des élections anticipées étaient organisées, les conservateurs, emmenés par David Cameron, seraient susceptibles de mettre fin à dix années de présence des travaillistes au pouvoir.

L'initiative Milburn-Clarke

Tous deux réputés « hostiles » au chancelier de l'Échiquier, Alan Milburn, député de la circonscription de Darlington et ancien secrétaire à la Santé, et Charles Clarke, député de la circonscription de Norwich-Sud et ancien secrétaire à l'Intérieur, qui se défendent tous deux de vouloir concourir à la direction du parti, ont lancé le site Web The 2020 Vision.

Ils expliquent que, après dix ans passés aux affaires, les travaillistes auraient « besoin d'une nouvelle vision et d'une nouvelle politique » et que le succès aux prochaines élections impliquerait que les travaillistes se renouvellent « intellectuellement, politiquement et organisationnellement », tout en se disant « fiers de ce qui a été réalisé sous la direction de Tony Blair ».

Pointant du doigt les risques que ferait peser, selon leurs vues, un éventuel retour des conservateurs au pouvoir, ils insistent sur la nécessité, selon eux, de prendre en compte les défis qui ne manqueront pas de se poser dans l'avenir et de mettre en œuvre une politique inspirée par les valeurs progressistes, et citent notamment le rejet de l'intolérance, des inégalités et de l'isolationnisme, l'apport de la sécurité, la protection de l'environnement. Ils affirment en outre miser sur une politique qui s'appuierait sur le dialogue, le débat et la dévolution des pouvoirs et chercher à encourager la mise en œuvre d'idées politiques susceptibles de contribuer à des réformes progressistes.

Bien qu'ils se défendent de vouloir barrer la route du 10, Downing Street (la résidence du Premier ministre à Londres) à Gordon Brown, les deux initiateurs de The 2020 Vision sont bien sûr perçus par les amis du chancelier de l'Échiquier comme cherchant à gêner son parcours de successeur « naturel » de Tony Blair. Leur insistance sur la nécessité de ne pas s'accrocher au passé et de se tourner vers l'avenir peut être vue comme une critique à peine voilée des dix années passées par Gordon Brown au sein du cabinet.

Les mauvais sondages

L'initiative d'Alan Milburn et Charles Clarke intervient alors que le quotidien The Independent a publié dans son numéro de mardi un sondage réalisé par l'institut CommunicateResearch auprès de 1 001 personnes, qui tend à montrer que, si des élections anticipées étaient organisées, le Parti conservateur serait assuré de l'emporter, avec 40 % des intentions de vote (en progrès de 6 % par rapport au mois dernier), creusant ainsi son écart (11 % au lieu de 5 %) avec le Parti travailliste, crédité de 29 % (stable par rapport à janvier), tandis que les Libéraux démocrates baisseraient de 4 points, avec 17 % et que l'ensemble des petites formations baisserait également de deux points, avec 14 %.

Le même sondage révèle également un certain désenchantement des électeurs travaillistes, puisque seuls 43 % des électeurs travaillistes se déclareraient certains de leur vote, contre 53 % des électeurs libéraux démocrates et 65 % des électeurs conservateurs.

Un autre sondage, cité dimanche 25 février par le Sunday Telegraph, révélait quant à lui que la bonne réputation économique de Gordon Brown, chancelier de l'Échiquier depuis le retour des travaillistes aux affaires, en 1997, tendrait à se détériorer. Ce sondage semble indiquer que seules 27 % des personnes interrogées feraient confiance aux travailliste pour bien gérer l'économie, face à 30 % qui préféèreraient les conservateurs. Un sondage comparable, réalisé lors des élections générales de 2005, créditaient les travaillistes d'un cote de confiance de 49 % en matière économique, loin devant les conservateurs crédités d'un niveau de confiance de 27 %. Le Sunday Telegraph indiquait en outre que, si des élections anticipées intervenaient aujourd'hui, les conservateurs pourraient les remporter, avec 43 % des intentions de vote ce qui, mécaniquement, leur assurerait une large majorité absolue au sein de la Chambre des communes.

L'inconnue Blair

Le Premier ministre Tony Blair, qui s'était résolu l'automne dernier à annoncer son départ pour le milieu de l'année 2007, sans donner de date plus précise, garde le mystère sur ses intentions. Certains observateurs de la vie politique britannique croient pouvoir penser que M. Blair serait désireux d'attendre la prochaine réunion du G8, au mois de juin, pour annoncer son départ de la tête du parti et, mécaniquement, des fonctions de Premier ministre.

On ignore également, pour le moment, si le Premier ministre choisira d'apporter son soutien à l'un des prétendants à sa succession. La longue détérioration des rapports entre le Premier ministre et son chancelier de l'Échiquier, qui « cohabitent » depuis presque dix ans, laisse parfois penser que M. Blair pourrait apporter son soutien à une autre personne issue des rangs travaillistes, sans que personne, jusqu'ici, ait pu prévoir sérieusement quel candidat pourrait ainsi obtenir un « coup de pouce » de la part d'un leader qui, s'il a perdu, avec l'usure du pouvoir, une part notable de son autorité, n'en reste pas moins très influent.

On ne peut d'ailleurs exclure que le Premier ministre choisisse, au final, d'« adouber » en quelque sorte celui que lui-même et le public ont longtemps considéré comme son « dauphin », avant de voir en lui un rival impatient.

Les possibles prétendants

Parmi les caciques du parti travailliste et du gouvernement, peu de personnes paraissent à l'heure actuelle susceptibles de constituer une menace sérieuse pour Gordon Brown à la direction des affaires, revendiquée de plus en plus ouvertement depuis 2004.

À l'heure actuelle, seul John McDonnell et Michael Meacher ont fait part de leur intention de disputer à Gordon Brown la direction du parti et, par conséquent, celle du gouvernement.

John McDonnell, âge de 55 ans, est député de la circonscription de Hayes et Harlington, située dans le Grand Londres. C'est un représentant de l'aile gauche du parti, qui affirme avoir le soutien de 22 députés travaillistes.

Michael Meacher, âgé de 67 ans, est député de la circonscription d'Oldham West et Royton, dans le Grand Manchester. Il affirme avoir le soutien de 30 députés travaillistes et se dit assez confiant pour obtenir le soutien de 15 autres. Dans une certaine mesure, c'est aussi un représentant de l'aile gauche du parti, devenu assez critique à l'encontre de la politique du gouvernement en matière de lutte contre le changement climatique, de politique étrangère et de désarmement.

Le site Web de BBC News citait récemment les noms de 13 notables du parti, dont les deux cités ci-dessus, susceptibles de se porter éventuellement candidats, mais dont bon nombre n'ont jusqu'ici pas montré de velléités de candidature.

On note que, parmi les caciques du parti, certains semblent voir d'un bon œil la perspective d'une candidature de David Miliband à la direction du parti et du gouvernement. comme l'écrivain Frank Field, ancien ministre d'État [1] chargé de la Réforme du système de santé en 1997-1998 et député de la circonscription de Birkenhead, dans le Merseyside, réputé en mauvais termes avec Gordon Brown, s'est ainsi clairement prononcé, le 14 février, en faveur d'une candidature de M. Miliband.

David Miliband, âge de 41 ans, exerce depuis mai 2006 les fonctions de secrétaire à l'Environnement, à l'Alimentation et aux Affaires rurales dans le gouvernement Blair. Il s'est toutefois prononcé à plusieurs reprises en faveur d'une candidature de Gordon Brown, répétant que la direction du parti ne l'intéressait pas. Si sa candidature, que divers éditorialistes britanniques estiment toujours possible, paraît à l'heure actuelle assez improbable, on peut toutefois supposer qu'il pourrait être appelé à jouer un rôle accru dans un éventuel gouvernement dirigé par l'actuel chancelier de l'Échiquier.

Certains analystes, comme Philip Webster dans les colonnes du Times, semblent d'ailleurs penser que David Miliband, en dépit des « appels du pied » faits ouvertement (par Frank Field) ou implicitement (par Alan Milburn et Charles Clarke), préfèrerait faire preuve de réalisme et ne pas obérer ses chances futures et miner sa crédibilité actuelle en contribuant à diviser le parti, ce qui expliquerait en partie son ralliement réaffirmé à Gordon Brown.

Notes

Sources

Sources anglophones