« Gorge profonde » était en réalité le numéro 2 du FBI

Publié le 31 mai 2005
Plus de trente ans après la fin du scandale du Watergate, qui entraîna la démission de Richard Nixon, président des États-Unis, le 9 août 1974, l'identité de l'informateur surnommé « Gorge profonde » (Deep Throat), a été révélée, mardi 31 mai 2005, par le magazine américain Vanity Fair, en prélude à la publication d'un article sur le sujet à paraître dans son édition imprimée de la fin du mois de juin.

Le scandale du Watergate avait commencé, le 17 juin 1972, par un faux cambriolage au siège du Parti démocrate, à Washington, dans l'immeuble du Watergate, à la suite duquel on avait arrêté les faux cambrioleurs qui étaient venus poser du matériel d'écoute. Deux journalistes du Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein, avaient mené une minutieuse enquête impliquant d'abord de comité de réélection de Richard Nixon, puis l'entourage même du président et le président lui-même. Bob Woodward, au fil de rencontres secrètes dans un stationnement souterrain1 avec une mystérieuse « Gorge profonde »2, sans jamais en recevoir de vraies révélations, avait obtenu de cet informateur, haut placé dans la hiérarchie du FBI, confirmation de nombreuses informations glanées par ailleurs.

L'identité exacte du mystérieux informateur n'était « officiellement » connue que de trois personnes, à savoir les deux journalistes du Washington Post (Bob Woodward et Carl Bernstein) et leur rédacteur en chef de l'époque, Benjamin Bradlee, aujourd'hui vice-président du journal. Tous trois s'étaient engagés à ne révéler le nom de « Gorge profonde » qu'après le décès de celui-ci.

Vanity Fair a ainsi rendu public le contenu de son article, intitulé « Je suis le type qu'ils appellent Deep Throat. » (I'm the guy they used to call Deep Throat), dans lequel W. Mark Felt, aujourd'hui âgé de 91 ans, ancien directeur adjoint du FBI en 1972-1973, révèle qu'il était l'informateur secret de Bob Woodward.

Les journalistes du Washington Post ont rompu leur engagement de silence après avoir constaté que la famille de M. Felt confirmait la nouvelle, dans un communiqué lu par son petit-fils, tandis que l'ancien informateur, qui vit aujourd'hui auprès de sa fille à Santa Rosa (Californie), faisait une brève apparition à l'extérieur de sa maison pour saluer une foule de journalistes accourus pour tenter d'obtenir un commentaire.

Bob Woodward et Carl Bernstein ont alors publié un communiqué disant que « W. Mark Felt était « Gorge profonde », et nous a immensément aidé dans notre couverture du Watergate. Cependant, comme l'indiquent les archives, de nombreuses autres sources et des officiels nous ont aidés, nous, comme les autres reporters, pour les centaines d'articles qui ont été écrits au sujet du Watergate dans le Washington Post » (W. Mark Felt was 'Deep Throat' and helped us immeasurably in our Watergate coverage. However, as the record shows, many other sources and officials assisted us and other reporters for the hundreds of stories that were written in The Washington Post about Watergate).

Interrogé par un journaliste, mercredi 1er juin, en marge de sa rencontre à la Maison Blanche avec le président sud-africain Thabo M'Beki, le président américain George W. Bush s'est déclaré « surpris » et « curieux d'en apprendre plus » sur les relations de M. Felt avec les médias (All I can tell you is that it was a revelation that caught me by surprise. And I'm looking forward to reading about it, reading about his relationship with the news media). Il s'est toutefois refusé à condamner l'attitude de « Gorge profonde » et, le même jour, l'un des porte-parole (White House Press Secretary) de la maison Blanche, Scott McClellan, poussé dans ses retranchements par un journaliste qui voulait lui faire dire que M. Bush avait une attitude « réservée » à l'égard de la conduite de M. Felt, s'est quant à lui tenu à l'opinion selon laquelle le président penserait que « ce n'est pas à lui de juger » et que « l'analyse doit être laissée aux historiens et aux médias » (I think what – in the President's views, it's not his place to judge, as he said, and we'll leave the analysis to historians and to the media).

L'identité de « Gorge profonde » était malgré tout connue d'un certain nombre de personnes, vivantes ou décédées. La cinéaste Nora Ephron, ex-épouse de Carl Bernstein, a ainsi révélé, sur un weblog, qu'après des années de silence pesant sur la question, elle avait fini par prendre le parti de révéler l'identité de « Gorge profonde » à tous ceux qui, connaissant ses liens avec Carl Bernstein, l'interrogeaient sur le sujet. Il semble également que, d'après un des enregistrements de conversation à la Maison Blanche entre Richard Nixon et H. R. Haldeman, son chef de cabinet (enregistrements qui devaient d'ailleurs conduire le président à la démission et M. Haldeman en prison), le président savait pertinemment, dès 1972, que « Gorge profonde » n'était autre que W. Mark Felt, et que c'est ce qui explique en premier lieu le blocage de sa carrière3 au sein du FBI et son départ dès 1973.

Nora Ephron a par ailleurs expliqué qu'elle pensait que M. Felt avait choisi de rompre trois décennies de dénégation en raison d'une possible lassitude d'entendre sans arrêt Bob Woodward répéter que l'identité de « Gorge profonde » ne serait révélée qu'après sa mort, ce qui aurait pu, selon la cinéaste, sérieusement agacer, à la longue, le vieil homme et, sans que la cinéaste le dise expressément, le conduire à vouloir couper l'herbe de M. Woodward.

L'annonce « officielle » de l'identité de « Gorge profonde » a occasionné, sur le site d'enchères eBay, une flambée subite des offres sur un exemplaire, dédicacé en 1981, des mémoires de M. Felt, The FBI Pyramid, From the Inside, publiées en 1979, mémoires dans lesquels il affirmait ne pas être l'informateur secret du scandale du Watergate. En effet, l'ouvrage, qui était proposé à 9,99 dollars américains lors de sa mise aux enchères dans la soirée du 31 mai, a reçu , provisoirement, 68 surenchères successives jusqu'à 2 750 dollars, un peu plus de 48 heures après sa mise sur le marché... [source]

Notes

  • 1. – Les rencontres entre « Gorge profonde » et Bob Woodward étaient entourées de précautions dignes d'un roman d'espionnage. Le journaliste, s'il désirait rencontrer son informateur, devait ainsi déplacer un pot de fleurs à l'une des fenêtres de son appartement...
  • 2. – « Gorge profonde », surnom donné à l'informateur au sein de la rédaction du « Washington Post », faisait à la fois référence, par un jeu de mots intraduisible en français, à un film pornographique sorti au début de l'année 1972, Gorge profonde (Deep Throat), et à l'expression américaine deep background, qui désigne, dans le journalisme anglo-saxon, les informations dont la source doit rester secrète.
  • 3. – Ironie de l'histoire, W. Mark Felt avait obtenu le renfort de l'ex-président Richard Nixon, en 1980, comme témoin de la défense, lors d'un procès au cours duquel lui et un autre ancien responsable du FBI, Edward S. Miller, avaient été jugés pour « conspiration », ayant donné leur aval, au début des années 1970, à des perquisitions secrètes, sans commission rogatoire, au domicile de plusieurs activistes du mouvement d'extrême-gauche Weather Underground Organization, responsable de divers attentats à la bombe à Chicago, New York, Washington, San Francisco. Ayant risqué une peine de dix ans de prison, M. Felt n'avait finalement été condamné, le 6 novembre 1980, qu'à 5 000 dollars d'amende, et avait été gracié le 15 avril 1981 par Ronald Reagan.

Sources