Turquie : l'annulation du premier tour de l'élection présidentielle ouvre une crise politique

Publié le 2 mai 2007
La Cour constitutionnelle de Turquie a annulé, mardi 1er mai 2007, le premier tour de l'élection présidentielle, qui s'était déroulé vendredi 27 avril, et au cours duquel Abdullah Gül, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, soutenu par le Parti pour la justice et le développement (AKP) avait obtenu 357 voix.

Localisation de la Turquie

Le Premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan, a aussitôt contre-attaqué, en annonçant son intention de proposer ce mercredi à la Grande assemblée nationale de Turquie (le parlement monocaméral) de s'auto-dissoudre pour organiser de nouvelles élections législatives le 24 juin prochain, alors que le terme normal de la législature prévoyait ces élections le 4 novembre.

Le Premier ministre propose également un « train de réformes », parmi lesquelles une révision de la constitution, afin de permettre l'élection du président de la République au suffrage universel direct, au lieu de confier sa désignation au parlement.

Le scrutin du 27 avril

La Grande assemblée nationale de Turquie (TBMM, Türkiye Büyük Millet Meclisi), le parlement monocaméral, compte 550 sièges. La majorité absolue est fixée à 276 voix, la majorité des deux tiers est de 367 voix.

Le candidat présenté par le Parti au pouvoir, le ministre des Affaires étrangères Abdullah Gül, a réuni 357 voix, sur les 361 députés présents dans l'enceinte du parlement. Le principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), qui devait initialement présenter un candidat, avait décidé de boycotter cette séance du parlement puis, après celle-ci, de présenter un recours devant la Cour constitutionnelle.

Il est apparu clairement que les puissantes Forces armées turques, qui se veulent les garantes de la laïcité de la Turquie, se sont fortement opposées à l'éventuelle accession de M. Gül à la présidence de la République, alors qu'elles avaient déjà dissuadé le Premier ministre de se présenter lui-même à cette élection dans le courant du mois d'avril. Les militaires turcs avaient implicitement donné une sorte de « coup de pouce » au recours du CHP devant la Cour constitutionnelle, en critiquant sévèrement, vendredi soir, la politique du gouvernement, accusé de ne pas défendre la laïcité et en soulignant que, si nécessaire, ils étaient prêts à le faire eux-mêmes (les forces armées turques ont à quatre reprises renversé des gouvernements civils depuis le début des années 1960). Le gouvernement avait sèchement rétorqué en rappelant à l'ordre les militaires.

Une impressionnante manifestation s'était déroulée dimanche à Istanbul, à l'appel de l'opposition, pour défendre la laïcité qui, selon ses vues, serait menacée par l'éventuelle accession à la présidence d'un homme perçu comme « islamiste », alors même que le Premier ministre, son ministre des Affaires étrangères et leur parti se défendent sans cesse de ne pas appartenir à cette mouvance politique, mais d'en être simplement issus, et indiquent habituellement que l'AKP serait un parti politique de centre droit, qui aurait des racines islamiques.

Par ailleurs, des heurts entre des manifestants issus de mouvements de gauche et la police ont conduit, dans la journée du 1er mai, à l'arrestation de plus de 700 personnes à Istanbul

L'arrêt de la Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle s'est appuyée, pour annuler le premier tour de l'élection présidentielle, sur le fait qu'un quorum de deux tiers des députés n'a pas été atteint avant de démarrer les opérations de vote. Il faut remarquer que le premier alinéa de l'article 102 de la constitution turque, s'il mentionne la nécessité d'une majorité des deux tiers pour être élu aux deux premiers tours, n'évoque pas la nécessité d'un quorum pour siéger.

Le même article, dans son alinéa 3, précise qu'un délai minimal de trois jours doit être observé avant un éventuel deuxième tour, au cours duqel la même majorité des deux tiers du nombre total de députés doit être réuni. Un troisième tour peut être organisé, au cours duquel tout candidat réunissant la majorité absolue du nombre total de députés est susceptible d'être élu. Si ces conditions ne sont pas réunies, un quatroème et dernier tour est organisé, où ne peuvent se présenter que les deux candidats arrivés en tête au troisième tour, avec la même exigence de majorité absolue. L'éventuelle absence d'élection à l'issue du quatrième tour conduit à l'organisation immédiate de nouvelles élections à la Grands assemblée nationale de Turquie.

La Cour constitutionnelle, par 7 voix contre 2, a décidé de faire droit au recours présenté par les députés du Parti républicain du peuple (CHP, Cumhuriyet Halk Partisi), une formation de centre gauche qui revendique sa laïcité et rappelle que son fondateur est Mustafa Kemal Atatürk, « père » de la Turquie moderne. Le vice-président de la Cour constitutionnelle, Hasim Kiliç, a précisé que sa décision ne constituait qu'une simple annulation du scrutin de vendredi, et ne remettait pas en cause l'éventuelle organisation d'un nouveau premier tour si nécessaire.

Les législatives de 2002

Pour expliquer le rapport de forces ayant conduit au premier tour de l'élection présidentielle du vendredi 27 avril, il faut revenir sur les précédentes élections législatives, qui avaient conduit à l'élection d'un parlement bicolore uniquement constitué de députés issus de l'AKP et du CHP.

Les élections du 3 novembre 2002 s'étaient traduites par une déroute de plusieurs des partis traditionnels, qui avaient vu leur audience chuter sous la barre de 10 % des suffrages exprimés, qui conditionne l'obtention d'une représentation au sein du parlement. Avaient ainsi perdu toute représentation les formations suivantes :

Ces élections s'étaient traduites par deux autres bouleversements sur l'échiquier politique turc :

Quelques élections partielles étaient survenues dans l'intervalle, mais n'avaient pas modifié sensiblement la composition du parlement ni les rapports de force politiques.

Sources

Sources anglophones
Sources francophones