Ludovic Péron : Bonjour M. Joye, merci de nous accorder cette interview ici à Lausanne.
Frédéric Joye : Bonjour.
Ludovic Péron : Bonjour, Pouvez-vous présenter ?
Frédéric Joye : Je m'appelle Frédéric Joye, j'ai 34 ans, je vis pour l'instant entre la Suisse et les Philippines. En Suisse, j'ai une activité de développement pour ma société qui a son centre d'opération aux Philippines. On est spécialisé dans le développement informatique, pour des clients suisses en priorité. On a une équipe de 80 personnes qui travaillent aux Philippines, pour des projets principalement suisses, mais aussi américains, ou en Asie. J'ai monté cette société avec mon associé et ami d'enfance que j'ai connu ici à Lausanne. À coté de cela, nous avons monté une fondation d'aide à l'éducation d'enfants défavorisés aux Philippines, parce qu'on pensait que c'était important de pouvoir redonner à la communauté ce qu'elle nous permettait de faire en termes de business. D'un point de vue plus personnel, je passe mon temps à voyager entre la Suisse, l'Asie et les États-Unis.
Ludovic Péron : Votre rapport à Internet, quel est-il ?
Frédéric Joye : Internet est aujourd'hui indispensable dans mon travail. Je m'y suis intéressé très jeune. En 1997, je voulais absolument une connexion Internet, parce que je trouvais génial de pouvoir être connecté à l'information et puis aux autres internautes. Tout au long de ma vie Internet a pris une place de plus en plus grande. D'un point de vue personnel, j'ai commencé à bloguer en 2000. Cela m'a permis de rencontrer des gens extraordinaires partout dans le monde ; je suis allé les voir physiquement. On a créé un groupe d'amis, on se revoit de temps en temps.
D'un point de vue professionnel, j'ai commencé à travailler dans une assurance ; ce n'était pas super technologique en termes de métier. Cependant, j'ai toujours essayé au fil des années de me rediriger vers la technologie. Ainsi, j'ai ensuite travaillé pour une société de software. Et puis je me suis lancé dans l'aventure e-commerce à Hong-Kong en 2009, où là c'est devenu effectivement de plus en plus important. Aujourd'hui Internet je ne pourrais pas faire sans tant pour les informations que je peux en tirer que pour gérer mon business. Mes équipes sont aux Philippines, donc je dois être en contact constant avec eux autant par Skype que par mail. De la même manière, j'utilise ces outils pour discuter avec mes clients. Ça c'est la partie communication. Ensuite, pour la partie prise d'information, je suis obligé d'aller chercher de l'information pour pouvoir répondre à mes clients ; de l'information générale ou technique.
Ludovic Péron : Wikipédia ?
Frédéric Joye : Oui. Souvent dans cette recherche d'information Wikipédia est le point de départ. Les informations dans les articles que je consulte d'un point de vue professionnel résument l'état de l'art pour chaque sujet. Ce que je trouve intéressant c'est qu'il y a en général une présentation, un historique puis une critique ou des informations de plusieurs parties.
Ludovic Péron : Il s'agit de recherches d'information sur une société, un produit, un concept, un process ?
Frédéric Joye : Alors plutôt un concept, un process ou même des outils qui existent pour des frameworks, des CMS. Quand un client mentionne quelque chose avec lequel je ne suis pas toujours très à l'aise, je vais commencer ma recherche sur Wikipédia et sur le site officiel du produit. Wikipédia me donne une information supplémentaire avec des liens en fin d'article qui permettent d'avoir accès à une information à laquelle je n'aurais pas eu accès autrement.
Ludovic Péron : Donc avec et par Wikipédia vous arrivez à trouver une information que vous n'auriez pas trouvée sur le site web officiel du produit ?
Frédéric Joye : Voilà, parce que sur le site web du produit, c'est pour le produit. C'est donc une vue unilatérale. Moi, je vais sur Wikipédia parce que j'imagine que je peux y trouver une information qui est objective. C'est ce que je vais rechercher sur Wikipédia, c'est ce qui est important pour moi, l'objectivité.
Ensuite, il y a un type d'article que j'ai découvert et que je trouve très utile. Je prends le dernier exemple en date où je devais présenter une solution d'e-commerce à un client. J'ai bien sûr des consultants qui travaillent sur des solutions techniques, mais moi, dans mon approche de présentation du projet, je dois aussi pouvoir répondre à des questions de clients qui vont plus loin que mes connaissances actuelles. Et dans certains articles je trouve des tableaux comparatifs, par exemple sur les plates-formes d'e-commerce c'était super bien foutu parce qu'il y avait un article avec tous les outils disponibles et différents tableaux présentant ce que chaque solution permet de faire ou de ne pas faire. J'ai ainsi des tableaux comparatifs de toutes les solutions d'e-commerce. Et ça, c'est un truc que j'ai trouvé sur Wikipédia et nulle part ailleurs.
Ludovic Péron : Et cette recherche d'information, vous l'effectuez plutôt sur quelle version linguistique de Wikipédia ?
Ludovic Péron : Même si le mandat concerne un client et un produit en langue française ?
Frédéric Joye : Oui. Dans mon a priori sur Wikipédia, c'est qu'il y a plus d'articles en anglais. La langue anglaise est celle de l'échange, donc je vais regarder par défaut sur la version en anglais. Mais il m'arrive aussi d'aller voir la version en français si l'article anglais me parait limité dans l'info.
Je vais aussi regarder la version francophone quand je cherche des traductions d’événements historiques. Je parle très souvent anglais avec mes interlocuteurs et quand on parle d'histoire ou de concepts et que je veux m'assurer qu'on parle de la même chose, avec le même niveau de compréhension, je compare les deux articles.
Ludovic Péron : Et votre regard, comment a-t-il évolué au fil des ans sur Wikipédia et son contenu ?
Frédéric Joye : Ma vue de Wikipédia n'a jamais été négative. Le nombre d'articles et leurs profondeurs ont évolué. Même s'il y a 6 ans je trouvais le contenu plus incomplet, il y avait déjà du contenu de qualité. Ce qui a changé depuis que j'ai commencé à le consulter, c'est la rapidité avec laquelle l'information est ajoutée. Ensuite, la qualité des articles qui étaient déjà là à l'époque a sans doute augmenté.
Ludovic Péron : Sur la qualité du contenu. Vous avez une expertise professionnelle dans un domaine, comment jugez-vous la fiabilité avec ce regard ?
Frédéric Joye : Vu que c'est un système libre et ouvert, c'est toujours sujet à questionnement concernant la fiabilité de l'information. Pour ma part, mon niveau de confiance est excellent. Ce que je fais, avec des articles techniques et qu'il s'agit d'un enjeu primordial ; je vais toujours vérifier l'information que j'ai lue, je le fais auprès d'un spécialiste. Et je dois dire que jusqu'à aujourd'hui je n'ai pas eu de réponse me disant que les informations n'étaient pas correctes. Ce que j'imagine, c'est que Wikipédia attire les experts dans un domaine et donc qu'un article peut rarement être faux, sauf évidement les sujets d'actualité qui sont sujets à controverses. Là je pense qu'il faut faire un peu plus attention parce qu'il y aussi effectivement des gens qui sont malveillants, enfin j'imagine. Il peut y avoir un peu d'information biaisée mais je n'ai jamais eu le sentiment d'avoir été complètement induit en erreur par un article.
Ludovic Péron : Utilisez-vous ce qu'il y a autour de l'article pour critiquer son contenu et avoir un regard sur le processus rédactionnel de ce que vous lisez ? Historique de l'article, page de discussion, etc.
Frédéric Joye : Je ne suis jamais allé très en profondeur dans les historiques ou page de discussion. Cependant, quand il y a un warning en tête de l'article me disant qu'il est sujet à controverse, je vais quand même lire l'article mais avec un oeil beaucoup plus critique, en creusant plus d'autres sources d'informations. Sur les sujets d'actualités, quand je vais lire un article j'ai déjà mon avis sur la chose donc la controverse me gène moins dans la lecture. C'est aussi important de dire, d'évoquer la controverse sur un sujet de ce type.
Ludovic Péron : Donc, pour vous, les bandeaux sont un très bon outil pour évoquer un problème dans l'article ?
Frédéric Joye : Oui. On peut aussi apprendre qu'il manque des références par exemple. C'est un bon outil, ça me met en garde et ça me garantit qu'il y a un espèce de contrôle d'objectivité. Ca me permet d'avoir plus confiance dans l'outil. Ainsi, quand il n'y a pas de disclaimer je vais avoir plus confiance dans l'article parce que je sais que d'autres articles ont ce type d'information. Je me dis que c'est un article qui a été jugé par plein d'autres personnes comme objectif et personne n'a jugé bon de mettre un bandeau dessus. Tout le monde ne trouve pas son compte dans le contenu de l'article par contre les critiques présentes dans l'article, dans un sens ou dans l'autre, sont acceptées par les deux parties et ne nécessitent pas ce bandeau. Cela signifie que, pour ce sujet, on peut tous accepter qu'il n'y ait pas une seule vérité, mais qu'il y ait un consensus qui soit trouvé pour que l'information soit objective. Ça c'est important pour moi.
Ludovic Péron : Sur la publicité, vous me disiez apprécier ne pas y trouver de pub de sociétés. Selon quel degré de lecture ? Des sociétés faisant leurs promotions par un article ou par des messages publicitaires autour des articles ?
Frédéric Joye : Les deux. Je trouve très bien qu'il n'y ait pas de publicité. S'il y a tout qui clignote autour, je suis moins concentré pour ce que je dois faire. Donc c'est bien que la page soit assez épurée. Après, il y a le problème de l'objectivité. S'il y a des gens qui peuvent donner de l'argent à la fondation pour avoir leur publicité autour des articles, cela me contrarie sur l'objectivité. Je trouve donc l'idée des dons très intéressante, même si cela ne doit pas faciliter la tâche pour le fonctionnement. Il doit pourtant y avoir plein d'annonceurs qui seraient d'accord de donner quelque chose pour avoir leurs noms là-dessus, vu le trafic. Je trouve que c'est bien de garder le système actuel.
Au sujet des articles sur les sociétés, je trouve normal qu'elles puissent avoir un article parce qu'elles font partie du décor. Mais effectivement il faut que l'information soit correcte et objective.
Ludovic Péron : Sur ces sociétés, Wikipédia a des critères d’admissibilités bornant quelle société peut-être le sujet d'un article, ou non. Comment le percevez-vous ?
Frédéric Joye : Je trouve cela normal. Une grande entreprise fait partie du quotidien. Prenons
IBM,
Apple ou la
Migros, elles font partie du quotidien d'un grand nombre de personnes. Elles font aussi partie du paysage économique et politique. Elles ont une influence sur la vie des gens. Elles font partie de l'histoire ; du présent et du passé. J'estime donc que c'est normal d'avoir de tels articles. Après, le petit imprimeur du quartier, il n'a pas assez d'influence sur le reste de la population pour justifier d'une présence. Il faut donc trier ce qui est du bruit ou de la vraie information.
Ludovic Péron : Et au niveau personnel, vous utilisez Wikipédia ?
Frédéric Joye : Wikipédia m'aide beaucoup sur l'histoire, la culture. Je voyage beaucoup. Je vais lire sur Wikipédia l'historique de la ville, du quartier, des œuvres d'arts que je suis en train de voir si je suis dans un musée. Pour moi, c'est le point central de l'information que je vais chercher.
Mon activité est souvent mélangée. Je fais souvent du professionnel et cinq minutes après je fais un truc perso, etc. Je peux être sur Wikipédia pour un truc professionnel et puis tout d'un coup mon esprit divague et je vais aller chercher d'autres trucs, d'autres informations. C'est aussi une bonne place pour rêver parce que quand on est dessus on sait qu'on tape un mot clé et hop on peut avoir de l'information comme on veut sur tout. Ensuite, c'est intéressant dans des débats d'idées pour approfondir ce que l'on sait, amener plus d'informations au débat. Enfin quand on est plusieurs personnes à discuter et que l'on se pose une question et bien on va voir sur Wikipédia, on sait qu'on y trouvera la réponse. L'information est tellement vite accessible, c'est génial.
Ludovic Péron : Merci beaucoup pour ce temps accordé. Au revoir.
Frédéric Joye : Au plaisir.