Le président brésilien refuse d'extrader Cesare Battisti

Publié le 31 décembre 2010
Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, au dernier jour de son mandat, a décidé aujourd'hui de ne pas extrader vers l'Italie l'ancien militant d'extrême gauche Cesare Battisti. Ce dernier, né en 1954, avait adhéré pendant les « années de plomb » au groupe armé italien des « Prolétaires armés pour le communisme ». Il est accusé d'avoir commis ou participé à quatre meurtres perpétrés par ce groupe en 1978 et 1979. Arrêté en 1979, il s'évade en 1981 et, après un passage au Mexique, se réfugie en France en 1990 où la « doctrine Mitterrand » garantit l'asile aux activistes italiens ayant renoncé à la lutte armée. Condamné en 1981 par la justice italienne lors d'un procès par contumace, il est de nouveau jugé en 1988 et 1993, toujours en son absence, et est finalement condamné à la réclusion à perpétuité. En 1991, une demande d'extradition vers l'Italie est refusée par la France. Cesare Battisti devient gardien d'immeuble et publie plusieurs romans en France. Mais en 2004, sous la présidence de Jacques Chirac, la « doctrine Mitterrand » est remise en cause et Battisti arrêté et menacé d'extradition. L'« affaire Battisti » fait alors polémique en France et l'ancien activiste devenu écrivain bénéficie de nombreux soutiens. Placé en résidence surveillée alors que son extradition semble de plus en plus probable, il entre dans la clandestinité en août 2004. Cesare Battisti est arrêté au Brésil trois en plus tard, avec l'aide de la France, dans l'attente d'une éventuelle extradition vers l'Italie. Celle-ci en fait aussitôt la demande et, en 2008, le procureur général de Brasilia donne un avis favorable en ce sens. Le ministre de la Justice Tarso Genro, lui-même ancien militant d'extrême gauche, décide en janvier 2009 d'octroyer le statut de réfugié politique à M. Battisti. En novembre de la même année, Lula, à qui revient la décision finale concernant l'extradition, annonce qu'il a statué sur son sort mais ne donne pas davantage de détails.

Cesare Battisti le 17 novembre 2009, lors d'une visite que lui ont rendue en prison des sénateurs brésiliens.

Cesare Battisti dément avoir pris part à ces meurtres et affirme avoir renoncé à la lutte armée en 1978. Il a déclaré en 2009 à la presse italienne qu'il était devenu « un trophée ». « C'est pour cela que l'on s'acharne en Italie. Il n'y a plus personne de cette époque en prison, et maintenant vous voulez que ce soit moi qui paye pour tout le monde ». Il craint d'être « l’objet de représailles » s'il rentre en Italie et d'être « tué ». Lui et ses soutiens contestent également la validité des procès qui l'ont condamné, notamment parce que les « repentis » avaient intérêt à accuser d'autres personnes pour que leur peine soit réduite.

Le ministre brésilien des Affaires étrangères, Celso Amorim, a déclaré dans un communiqué officiel que « le président de la République a pris aujourd'hui la décision de ne pas extrader le citoyen italien Cesare Battisti, sur la base d'un rapport du procureur général ». Il a également affirmé que « cette décision ne représente pas un affront envers un autre État ». Rome a cependant rappelé son ambassadeur pour consultation et le président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, s'est engagé à poursuivre la « bataille » pour l'extradition. Le ministre italien de la Défense, Ignazio La Ruzza, a jugé la décision de Lula « injuste et gravement offensante ». L'Italie avait déjà annoncé hier qu'elle jugerait « inacceptable » un refus du Brésil de lui remettre Battisti. Dans le pays, la décision a été critiquée à droite comme à gauche, la droite étant la plus virulente, certains appelant même au boycott du Brésil. La présidente du Parti démocrate (centre gauche, dans l'opposition), Rosy Bindi, a dénoncé « une décision erronée qui offense la conscience des Italiens » tandis qu'un groupe de sénateurs de la Ligue du Nord (droite populiste, alliée au gouvernement) a affirmé que « l'affront du guérillero Lula a dépassé les bornes ». A contrario, les réactions sont positives en France. La romancière Fred Vargas qui s'était impliquée dans la défense de Cesare Battisti a salué « l'exceptionnelle sagacité » dont a fait preuve Lula malgré « l'extravagante propagande médiatique qui fut menée depuis presque sept ans dans les médias français, italiens puis brésiliens ». L'écrivain Bernard-Henri Lévy et l'ancien président de la Ligue des droits de l'homme Michel Tubiana se sont également réjouis de cette décision.

Le président de la Cour suprême brésilienne, Cezar Peluso, a annoncé qu'il faudra vérifier la conformité de la décision de Lula avec le traité d'extradition en vigueur entre le Brésil et l'Italie avant une éventuelle libération de Cesare Battisti. Les hauts magistrats brésiliens avaient accordé le 18 novembre 2009 un feu vert à l'extradition de l'ex-activiste, mais ils avaient en même temps laissé au président brésilien la décision définitive. S'il était finalement extradé vers l'Italie, Battisti n'aurait pas droit à un autre procès.

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Sources